Non, rien de rien, non, je ne changerai rien. C’est payé, balayé, oublié. Je m’fous des députés.
Edith Piaf avait son Marcel Cerdan, Pascal Nègre a sa Christine Albanel. Telle la boxeuse sur son ring, la ministre de la culture encaisse les coups les uns après les autres mais se relève toujours, poussant son combat jusqu’au dernier round en se sachant constamment au bord du K.O. Contre toute attente, dans ce que l’on croyait être mercredi la dernière reprise, la puncheuse a encore trouvé l’énergie de tenir sa garde au bout d’un affrontement musclé, et a refusé de jeter l’éponge.
Au premier round, en avril 2008, l’ancienne patronne du Château de Versailles avait encaissé un premier crochet du gauche du Parlement européen, déjà, et elle s’était relevée, déjà. « Le Parlement européen n’a pas une bonne compréhension de ce que nous allons faire et nous allons le leur expliquer« , déclarait la ministre à peine vacillante en revenant vers son crachoir.
Au second round, un mois plus tard, c’est le régulateur européen des télécoms qui décroche une droite. Bien positionnée sur ses jambes, Albanel esquive et retourne dans son coin nettoyer son protège-dents en attendant le gong.
Au troisième round, elle récidive l’exploit. Cette fois c’est la CNIL qui tente de passer sous les gants mais la ministre s’accroche bien à son adversaire et la renvoie dans ses cordes. Elle rappelle dans un rictus que la Commission qui protège la vie privée des Français n’a qu’un avis consultatif, et qu’elle n’est donc pas tenue de le suivre. Sautillante sur le ring, elle attend son prochain adversaire d’un regard déterminé.
Au quatrième round, c’est cette fois le Conseil d’Etat qui ose s’approcher de la ministre et lui adresser quelques coups dans les reins. Sans grande conviction. Christine Albanel encaisse les coups en armant la riposte.
Au cinquième round, c’est l’ISOC, une organisation internationale reconnue et respectée qui déclenche un crochet, aussitôt bloqué par la ministre. Dans le public, personne n’a rien vu. La serviette n’est même pas de sortie.
Elle se relève au bout de l’effort
Jusque là, la championne a enchaîné les reprises avec force, sûre de tenir la victoire aux points. A l’entame de la sixième reprise, elle rassure son coach. « Il y a un agenda parlementaire très chargé. C’est une bataille. Mais je sens beaucoup de volonté politique » pour faire étudier le projet de loi en novembre au Sénat, promet la ministre avant d’entrer une nouvelle fois sur le ring.
Le sixième round lui est pourtant presque fatal. Le Parlement Européen revient le mercredi 24 septembre dans l’arène avec l’envie d’en découdre, et se précipite sur son adversaire pour lui asséner un violent uppercut sous le menton. Le public retient son souffle. Pour la première fois la ministre s’effondre sur le tapis. On croit au K.O. La force du coup laisse les commentateurs ébahis (573 voix pour, 74 contre ; près de 85 % des voix). L’arbitre décide de compter. Dix. Neuf. Huit. Sept… arrivera-t-elle à se relever ? Six… Cinq… Quatre… Albanel commence doucement à se réveiller. Elle soulève une paupière, puis l’autre. Trois. Les observateurs s’interrogent. Pourrait-elle encore une fois remonter sur le ring et renvoyer des coups ? On imagine l’impossible. Deux. La ministre se met sur ses genoux, elle vacille encore. Un. Cette fois, elle est debout.
Reprise. Le vote du Parlement européen « ne s’oppose pas » au maintient de la loi Création et Internet et à la mise en place de la riposte graduée, proclame dans la soirée la ministre en recrachant une dent, puis deux. Comme dans le scénario de science-fiction que nous avions imaginé, Christine Albanel fait « observer que le débat qui s’est déroulé intervient en première lecture« . « Aucun des Etats membres qui composent le Conseil de l’Union, pas plus que la Commission, n’ont manifesté leur volonté de soutenir un amendement de cette nature« , rappelle la ministre, qui mise donc sur un retoquage de l’amendement par le Conseil, avant un renvoi au Parlement en deuxième lecture.
La ministre affirme que le texte adopté mercredi par le Parlement Européen « se borne à rappeler un principe général qui n’apporte rien au droit existant« , ce qui doit conduire à « rejeter catégoriquement l’interprétation donnée par le député socialiste européen Guy Bono et par les lobbyistes qui s’opposent à la défense des droits des créateurs« . Plus tôt, le député Bono avait proclamé la mort de la riposte graduée qui devait conduire à suspendre ou résilier l’abonnement à Internet de certains P2Pistes présumés sur simple condamnation administrative.
Le texte de l’amendement voté par les eurodéputés dispose que « aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire« . Poings serrés, Christine Albanel refuse de reconnaître que parmi les droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux d’Internet figure le droit… d’accéder à Internet. Elle veut s’en remettre pour interprétation à la Cour européenne de justice, qui ne se prononcera qu’en cas de litige, et donc en cas de mise en œuvre de la riposte graduée.
La ministre s’est bien relevée, mais elle a définitivement perdu toute sa lucidité.
Il y aura une huitième reprise.
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