Malgré le risque élevé d’incompatibilité de la riposte graduée avec le texte de l’amendement 138 adopté le mois dernier par les députés européens, le gouvernement a décidé de s’entêter et veut faire adopter son projet de loi Création et Internet avant la fin de l’année. Sans attendre la décision de la Commission européenne qui doit rendre le 23 octobre son avis sur le maintien ou non de l’amendement, le gouvernement a choisi d’inscrire le texte de Christine Albanel à l’ordre du jour du Sénat le mercredi 29 octobre, avant son renvoi à l’Assemblée Nationale.
Pour le moment, l’urgence sur le texte n’est pas déclarée, ce qui doit permettre un aller-retour du projet de loi entre les deux chambres qui disposeront de deux lectures avant une éventuelle convocation de la commission mixte paritaire et un vote définitif. Mais le Président Nicolas Sarkozy étant pressé par le calendrier européen de voir le texte adopté en France avant le premier trimestre 2009, la procédure d’urgence qui n’autorise qu’une seule lecture par chacune des chambres pourrait être déclarée, comme elle l’avait été pour la loi DADVSI en 2005. Techniquement, l’urgence peut être déclarée à tout moment avant le premier renvoi du texte à la deuxième chambre.
Le projet de loi pourrait toutefois être brisé avant-même le début de son examen au Sénat si la Commission européenne confirme le 23 octobre le refus d’accéder à la demande de retrait de l’amendement 138. Dans un tel cas, la France devra réunir la majorité qualifiée du Conseil de l’Union européenne pour toucher au texte qui rend illicite la riposte graduée. Peine perdue face notamment à des Etats nordiques très opposés à cette mesure. Au contraire, si la Commission européenne répond favorablement à la demande française et préconise de retirer l’amendement voté par 88 % des parlementaires, la France pourra exercer son droit de véto pour empêcher sa réintroduction par le Conseil.
Toutefois même dans le cas où l’amendement serait retiré par le Conseil, les députés Guy Bono et Daniel Cohn-Bendit ont déjà assuré qu’il serait réintroduit lors de la deuxième lecture du texte européen prévue début 2009.
Il est aussi possible, malgré le maintien de l’amendement européen, que le gouvernement décide d’ignorer la directive et d’instaurer tout de même la riposte graduée en France. Le texte de l’amendement 138 interdit en effet d’aller contre « les droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux » sans ordre judiciaire préalable. Mais s’il suit la doctrine Albanel, le gouvernement pourrait prétendre que le fait de couper l’abonnement à Internet d’un abonné n’est pas contraire à ses droits et libertés fondamentales. Dans un tel cas, la riposte graduée pourrait fonctionner tant qu’un ordre de résiliation n’est pas jugé contraire au droit européen par la Cour de Justice des Communautés Européennes, ce qui peut prendre de longs mois, voire plusieurs années..
Il faudra aussi que le texte voté par les parlementaires français franchisse sans encombre le Conseil Constitutionnel, qui avait déjà sanctionné la riposte graduée embarquée dans le projet de loi DADVSI. La mécanique juridique a été huilée pour éviter les obstacles posés par le Conseil il y a trois ans, mais d’autres pièges sont sur son chemin. En particulier, il faudra démontrer que les droits de la défense sont respectés dans la procédure prévue par le ministère de la culture. Les députés opposés au texte devront soulever un problème clé : il est techniquement impossible de prouver sa bonne foi en démontrant que l’accès à internet utilisé pour pirater était bien protégé au moment des faits.
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