En politique, et particulièrement à l’approche des élections, tout est question de communication. Catherine Trautmann, qui a dû céder sur les aspects les plus contraignants de l’amendement Bono pour arracher un accord de la France, essaye aujourd’hui de faire passer ce demi échec pour un grand succès. Analyse.

Catherine Trautmann tente de sauver les apparences. Mise sous pression de toutes parts, l’eurodéputé socialiste n’a pas réussi à préserver le vote de l’amendement Bono qui avait été confirmé en commission Industrie par le Parlement Européen. Il est vrai que l’exercice était, sinon impossible, sans doute trop périlleux.

D’un côté des milliers d’internautes de toute l’Europe lui demandaient de préserver sans réserve l’amendement Bono sans y toucher une virgule, de l’autre la France et le Conseil menaçaient de rendre les députés responsables, à quelques semaines des élections européennes, d’un échec de l’adoption du Paquet Télécom si l’amendement était maintenu. Avec en outre pour Catherine Trautmann le risque tout personnel de voir le rapport parlementaire sur laquelle elle a travaillé de longs mois être placé dans les oubliettes du Parlement, à cause d’un amendement qui n’aurait jamais dû figurer au rapport si la France n’avait pas tenté d’instrumentaliser la Paquet Télécom pour la riposte graduée.

Plutôt que de prendre ces risques, la députée a donc négocié sans relâche pour trouver un compromis, ce qu’elle a réussi cette semaine. La France a donné son accord ce mercredi matin au texte du compromis, qui ne fait plus obstacle à l’installation de l’Hadopi. Le texte ne parle plus de « l’autorité judiciaire » et permet donc à une simple autorité administrative de prendre la décision de suspendre l’accès à Internet, pourvu qu’elle respecte le droit à un procès équitable tel que défini par la Convention européenne des Droits de l’Homme.

En gardant la référence à l’autorité judiciaire, il était certain que l’Hadopi, de nature administrative, n’était pas compatible avec le droit européen. Cet obstacle étant maintenant levé, ça n’est qu’après l’installation de l’Hadopi que l’Europe pourra désormais vérifier si oui ou non, comme le prétend la France, le collège de l’Hadopi composé de trois magistrats est un « tribunal indépendant et impartial » qui respecte la présomption d’innocence.

Il faudra en pratique des années avant que l’Europe ne décide éventuellement de sanctionner la France, ce qui n’arrivera de toute façon que si l’Hadopi elle-même prononce effectivement des sanctions, ce qui semble de moins en moins probable. Comme nous l’avions expliqué, le gouvernement agite l’Hadopi comme une menace au dessus de la tête des pirates, mais ne souhaite pas risquer que des recours puissent avec succès démolir le chateau de cartes de l’Hadopi. S’il n’y pas de condamnation, il n’y a pas de recours possible, et donc pas d’appel aux institutions européennes pour détruire la riposte graduée.

La positive attitude de Catherine Trautmann

Consciente du calcul français, la députée européen Catherine Trautmann a eu le rôle difficile de devoir négocier un compromis qui puisse satisfaire la France sans paraître trahir les attentes des internautes européens.

Alors que courraient déjà la rumeur qu’elle pourrait accepter un compromis mou vidant de sa substance l’amendement Bono, Catherine Trautmann a reçu en quelques heures des milliers de courriers et de coups de téléphones de toute l’Europe, notamment grâce à l’intervention de The Pirate Bay ou du célèbre magazine allemand Heise.de, qui ont relayé des appels à la mobilisation sur leur page d’accueil.

Dans la journée du 21 avril, elle publie une lettre ouverte aux internautes. « Je vous assure que je ne suis pas prête à lâcher« , lance-t-elle, tout en expliquant l’air de rien les raisons qui pourraient la conduire à accepter finalement un compromis. « L’objectif que je dois rechercher en tant que rapporteure au Parlement européen est d’obtenir un accord global sur le [paquet télécom], la difficulté ici est de parvenir, lors des négociations, à gérer l’ensemble des contraintes sans opposer aucun droit« , avait-elle expliqué, en rappelant l’enjeu économique du Paquet Télécom pour l’Europe.

Dans la soirée, la mobilisation des internautes ayant continué, Catherine Trautmann et les membres de la commission industrie du Parlement Européen ont décidé de refuser tout compromis, et de voter conforme l’amendement Bono qui faisait obligation aux états membres d’avoir recours à l’autorité judiciaire avant toute atteinte aux droits fondamentaux des internautes. En diplomate avisée, Mme Trautmann avait toutefois laissé la porte ouverte à des négociations d’ici la séance plénière du 6 mai, où son rapport (qui compose l’un des piliers du Paquet Télécom) sera voté ou rejeté par le Parlement Européen.

Le texte qu’elle a finalement proposé cette semaine et qui a été accepté par la France est une reculade du Parlement, qui cède sur l’essentiel (la force juridique immédiate de l’amendement Bono) en préservant le message politique, dont la France se moque totalement. S’il est vrai que l’amendement repose sur des fondements juridiques plus solides que le précédent, ce qui pourrait être bénéfique à long terme, il n’aura aucune efficacité à court terme contre le projet de loi français. Catherine Trautmann en a nécessairement conscience mais ne souhaite pas que cette faiblesse du compromis soit perçue par les internautes électeurs.

Tout est donc question de communication et de « positive attitude ».

Ce mercredi midi, elle s’est ainsi jetée sur son Twitter pour se féliciter de l’accord. « Le Conseil Européen vient d’approuver l’ensemble du paquet TELECOM incluant ma proposition de la dernière chance !« , écrit-t-elle. « La France, qui n’a cessée de combattre l’amendement 46 (Bono, ndlr) et les termes mêmes de cette proposition, a été obligée de  » rentrer dans le rang « « , résume Catherine Trautmann, qui assure que « c’est une manche importante qui vient d’être remportée« .

Un succès tel que la France pourra voter sans difficulté la loi Hadopi sans être gênée par le texte européen.

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