Dans l’esprit de la Constitution de la cinquième République, les textes doivent bénéficier en principe de deux lectures dans chacune des chambres du Parlement. La seconde lecture doit permettre de corriger les points qui n’avaient pas bien été compris en première, et d’améliorer le texte soumis à la représentation nationale. En déclarant comme souvent la procédure d’urgence sur le projet de loi Création et Internet, le gouvernement a souhaité qu’il n’y ait qu’une seule lecture du texte au Sénat puis à l’Assemblée. Mais en rejetant le projet de loi le 9 avril dernier, après son durcissement en commission mixte paritaire, les députés ont souhaité au pire renvoyer le texte aux oubliettes, au mieux provoquer une seconde lecture constructive.
Or mercredi, alors que s’ouvrait par la discussion générale la seconde lecture du texte demandée par le gouvernement, il est apparu clair qu’il n’y aurait aucun débat constructif.
Déjà lundi, en commission des lois, les députés ont expédié les amendements en grande vitesse, n’acceptant que ceux présentés par le rapporteur Frank Riester. En quelques heures, l’ensemble du texte était bouclé, pour un retour au prétendu « compromis de la commission mixte paritaire », la version la plus dure du projet de loi, qui avait mis fin à l’unanimité au Sénat et provoqué le rejet du texte par l’Assemblée.
Puis mercredi soir, remis en ordre de marche par Nicolas Sarkozy avec la menace de sanctions contre les absentéistes, les députés UMP sont venus en très grand nombre s’assurer que l’opposition ne puisse plus faire obstacle au texte. Le rapport de force était installé, avec une exception d’irrecevabilité rejetée par 223 voix contre 135. Frank Riester a prévenu qu’il serait défavorable à « tout amendement qui remet en question le compromis de la commission mixte paritaire« , c’est-à-dire à toute modification du texte qui viserait à revenir au texte qu’avaient voté les députés avant la CMP. Et il a assuré, en s’improvisant chef de l’UMP, que la majorité rejetterait massivement tous les amendements présentés.
Christine Albanel est apparue avec le même état d’esprit, refusant de répondre aux questions de l’opposition parce que « je n’avais pas observé de nouvelles questions, de nouvelles argumentations, des problématiques nouvelles qui n’ont pas été largement traitées au fil des 40 heures de débat que nous avons eu ensemble« .
Quelques jours plus tôt, le président du groupe UMP à l’Assemblée a écrit à ses collègues députés pour leur dire que « ce n’est désormais plus la teneur de ce texte qui est en cause. Ce qui importe c’est le problème politique créé par son rejet surprise et par le comportement absurde de l’opposition« .
Pendant les quarante et une heure de débat en première lecture, les députés de l’opposition ont su, souvent avec brio, expliquer pourquoi ils s’opposaient au texte, en quoi il était techniquement dépassé, ou juridiquement dangereux. Grâce également à la mobilisation des internautes, ils ont réussi à semer le doute dans l’esprit des députés UMP, et à obtenir quelques réponses, mêmes évasives, de Christine Albanel ou de Frank Riester. Ces quarante et une heure de débat intense ont abouti au rejet du texte et à cette demande de nouvelle lecture, qui selon l’esprit de la Constitution devait permettre de continuer le débat et d’améliorer le texte.
Mais il apparaît clair qu’aucun amendement ne sera voté, qu’aucune réponse ne sera apportée ni par la ministre, ni par le rapporteur, aux différentes questions posées sur les points qui posent le plus problème au texte.
Il apparaît aujourd’hui clair que la seule issue possible est un recours fructueux au Conseil constitutionnel.
Dès lors, s’il n’y a absolument aucun dialogue possible avec le gouvernement, si la majorité souhaite voter massivement le texte rejeté en première lecture, dont elle refuse d’entendre les risques qu’il provoque, faut-il continuer pour l’opposition à cautionner le « débat » par son impuissante présence dans l’hémicycle ?
Après le succès du rejet du texte, les députés UMP ont promis de venir en nombre laver l’affront, et ils l’ont démontré hier. Dès lors, ne faut-il pas les prendre à revers, et décider de boycotter le reste de la discussion, de les laisser seuls voter un texte aussi dur qu’ils le souhaitent, et de s’en remettre au Conseil constitutionnel et à l’épreuve du temps qui aura raison de l’Hadopi ?
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