On ne craint par l’absurde chez les « artistes de gauche« . Pierre Arditi, Juliette Gréco, Maxime Le Forestier et Michel Piccoli ont publié dans Le Monde une lettre ouverte destinée à Martine Aubry dans laquelle ils disent à la première secrétaire du Parti Socialiste qu’en rejetant l’Hadopi, le PS a perdu leur soutien. Mais pour le justifier, ils déploient des arguments qui auraient dû au contraire les convaincre de rejeter l’Hadopi et de soutenir la contribution créative, la licence globale nouvelle donne soutenue par le Parti Socialiste.
« La gauche – notre famille – c’était le refus d’un ordre purement marchand. C’était la protection du faible contre le fort. En particulier pour la culture« , écrivent ainsi les quatre artistes de gauche.
Sans doute n’ont-ils pas compris que la mission officielle de l’Hadopi, reconnue par Christine Albanel elle-même, est de « favoriser l’offre légale », et donc d’installer la culture dans un « ordre purement marchand », alors que le piratage (un autre mot pour dire « partage ») vise à l’en sortir en favorisant l’échange culturel non marchand entre les citoyens.
Sans doute n’ont-ils pas compris non plus que s’ils souhaitent que les grandes maisons de disques gardent le contrôle de la distribution de leurs œuvres sur Internet comme ailleurs, le faible qu’il faudra protéger restera l’artiste, et que le fort ne sera pas l’internaute mais encore une fois les majors, qui continueront à imposer des contrats léonins aux artistes dont ils décideront des carrières.
Plus grotesque encore, ils écrivent à Martine Aubry qu’en « vous opposant, à l’occasion de la loi « Création et Internet », à ce que des règles s’imposent aux opérateurs télécommunications (comme vous les aviez imposées naguère aux opérateurs de télévision et de radio) pour qu’ils cessent de piller la création, vous venez de tourner le dos de manière fracassante à cette histoire commune« . Or c’est bien justement en favorisant une licence légale – à l’époque par Jack Lang – que le PS a pu libéraliser la radio au profit des artistes, et des maisons de disques.
C’est en créant la rémunération équitable, qui prévoit que les radios peuvent diffuser ce qu’elles veulent sans autorisation préalable, mais en ayant l’obligation de verser à une caisse commune les droits qu’elles auraient auparavant dû négocier morceau par morceau. Avec la rémunération créative, les socialistes veulent transposer ce système à Internet, et non se contenter de légaliser le piratage sans contrepartie.
« Ce n’est pas parce que les PDG des nouvelles multinationales portent des jeans et des tee-shirts que leur âpreté et leur cupidité est moindre« , écrivent encore les quatre artistes de gauche, sans savoir sans doute que les internautes, s’ils portent parfois jeans et tee-shirts, échangent les œuvres le plus souvent en dehors des systèmes des multinationales, par des systèmes libres et open-source comme eMule ou BitTorrent.
Ceux qui actuellement portent jeans et tee-shirts et dirigent des multinationales sont représentés par Apple, et c’est justement le quasi monopole d’iTunes sur la musique marchande que le « piratage » permet d’éviter, et que la licence globale (ou rémunération créative) permettra d’éviter demain. Vouloir l’Hadopi, c’est vouloir que ces PDG des nouvelles multinationales continuent à prendre aux artistes la part du lion, et à contrôler les moyens pour eux de se faire connaître.
« Vous avez perdu notre soutien – peut-être n’est-ce pas si grave après tout ? Mais il nous semble aussi, et cela est plus fâcheux, que vous avez également perdu votre âme« , concluent les quatre artistes de gauche.
Qui, eux, ont perdu leur tête.
Est-ce vraiment être de gauche que de soutenir une loi qui créé un tribunal d’exception, qui « jugera » sur des preuves qui n’en sont pas, contre la présomption d’innocence, et qui imposera aux citoyens d’installer chez eux un espion contrôlé par l’Etat, lequel finalement permettra de vérifier ce que lisent ou écoutent les internautes, ou de le leur interdire, au risque de sacrifier la liberté d’expression sur l’autel de la lutte contre le partage des œuvres ?
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