C’est en plein débat sur la loi DADVSI, et sur une transposition équivalente en Suède de la directive européenne sur les droits d’auteur dans la société de l’information, que le Parti Pirate est né. En janvier 2006, une petite communauté d’internautes suédois décident de créer un parti politique avec l’ambition farfelue d’obtenir un siège aux élections législatives nationales quelques mois plus tard. Leur programme : légaliser les échanges de fichiers réalisés à but non lucratif, réduire considérablement l’ampleur de la protection des droits d’auteur, éliminer le système des brevets, et protéger la vie privée des internautes.
Les médias et les partis politiques traditionnels ne les prennent pas au sérieux. Aux élections législatives nationales, ils ne font d’ailleurs que 0,6 % des voix. Mais loin de se démobiliser, le très jeune Parti Pirate s’organise. Grâce aux relais qu’il se crée sur Internet, le PiratPartiet gagne de nombreux membres, essentiellement chez les jeunes jusque là dépolitisés. Très tôt, plus tôt que les autres partis, ils lancent leur campagne pour les élections européennes et affichent clairement leur ambition de gagner un siège à Bruxelles.
Là encore, les médias et le gouvernement ne les prennent pas au sérieux. Mais le Parti Pirate est aidé dès juin 2006 par un premier scandale politique. Les Suédois apprennent que leur gouvernement a fait pression sur la justice pour qu’elle ouvre officiellement les poursuites contre le site de liens BitTorrent The Pirate Bay, à la demande du gouvernement américain. Une enquête est lancée à l’encontre du gouvernement, suspecté d’avoir violé le principe de la séparation des pouvoirs. Le ministre de la Justice Thomas Bodström et le secrétaire d’Etat Dan Eliasson sont sommés de s’expliquer, mais aucune suite n’est donnée à l’affaire. Le Parti Pirate, lui, commence à gagner en notoriété.
Ignorant la menace qui progresse, le gouvernement prépare l’arrivée du projet de loi IPRED, la transposition d’une directive européenne qui permet aux industries culturelles de collecter les adresses IP des internautes suspectés de partager des fichiers piratés sur Internet. Passée sans grande opposition en France, l’IPRED fait l’objet d’un fort débat en Suède. Parallèlement, le procès de The Pirate Bay s’organise et les internautes suédois voient progressivement s’abattre sur eux le poids des lobbys du droit d’auteur, qui veulent leur interdire de partager des œuvres culturelles, au détriment de leur vie privée et de leurs libertés.
En 2008, tous les partis politiques perdent des adhérents. A une seule exception près : le Parti Pirate. Il a quasiment doublé son nombre de membres en un an, avec 9.000 militants encartés à la fin de l’année. Pour la première fois, des sondages font leur apparition qui accréditent le Parti Pirate de très fortes intentions de vote. Un institut mesure que plus d’un homme sur deux âgé de moins de 30 ans est prêt à voter pour le PP aux élections européennes. Cette fois-ci, la menace n’est plus fantôme.
Mais la machine du procès de The Pirate Bay est lancée. Les internautes suédois, qui craignent de voir disparaître leur site, commencent à adhérer massivement au mouvement. Fin février, le Parti Pirate dépasse le Parti de Gauche, l’équivalent du Parti Communiste, en nombre d’adhérents. Mais c’est véritablement l’annonce de la condamnation des administrateurs de The Pirate Bay à un an d’emprisonnement qui envoie le Parti Pirate à Bruxelles. Comme Numerama l’avait titré, le 17 avril 2009 restera dans l’histoire comme « le jour où le Parti Pirate s’est envolé« . En une seule journée, le PP gagne plus de 3500 membres supplémentaires. Soit presque autant qu’en toute une année.
L’injustice perçue par les internautes et les citoyens suédois est d’autant plus grande que les arguments du site de liens BitTorrent avaient paru beaucoup plus convaincants lors des audiences, et que plusieurs scandales ont entouré le procès : pressions du gouvernement sur le procureur, enquête réalisée par un policier débauché par l’un des plaignants avant la fin de l’enquête, conflit d’intérêt du juge qui s’est avéré membre de plusieurs grands lobbys du droit d’auteur, etc., etc.
Le mouvement ne s’essoufle pas, d’autant que le parlement suédois adopte l’IPRED. Fin avril, le Parti Pirate comptait plus de 42.000 membres. Le petit parti politique, parti de rien, moqué par les grands médias et les partis traditionnels, est devenu en quelques mois la quatrième force politique du pays en nombre d’adhérents. Pour la première fois, un sondage paraît qui accorde au Parti Pirate un peu plus des 4 % de voix nécessaires pour envoyer un représentant au Parlement Européen. La presse s’emballe pour le phénomène.
Mi-mai, la London Schools of Economics publie le résultat d’une prédiction mathématique des résultats des élections européennes, basée sur la compilation des différents sondages. Elle conclut que le Parti Pirate pourrait dépasser les 8 % de voix, et donc propulser deux membres au Parlement Européen. Une projection ensuite confirmée par un sondage national, jusqu’au dernier jour.
Parti de rien, mais parfaitement organisé en réseau grâce à la puissance d’Internet, avec des membres fédérés derrière l’envie de mettre un terme à la toute puissance des lobbys du droit d’auteur, le Parti Pirate a réalisé un score de 7,1 % des voix le dimanche 7 mai. Il enverra un député européen à Bruxelles, et peut-être même deux si le Traité de Lisbonne, qui accorde deux sièges supplémentaires à la Suède, entre en vigueur l’an prochain. Selon les projections, l’un des deux sièges bénéficierait en effet au Parti Pirate.
Et déjà, le Parti Pirate s’est donné un nouveau rendez-vous : les législatives nationales, en 2011. Cette fois-ci, il devrait faire bien plus que les 0,6 % d’il y a cinq ans. A moins qu’entre temps les partis politiques traditionnels ne prennent la mesure de l’ampleur de la contestation, et décident de tuer le Parti Pirate dans l’oeuf en défendant finalement les mêmes valeurs. Ce qui serait pour lui la plus grande des victoires.
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