Libération publie cette semaine une tribune à contre-courant de Thierry Klein, président de la société Speechi, qui déglingue Google. Il réfute l’idée selon laquelle « Internet représenterait une chance pour le savoir humain« , et accuse le moteur de recherche d’être « l’acteur majeur » d’un « rétrécissement » du savoir. Selon lui, la quantité moyenne de savoir à laquelle un internaute accède réellement (ce qu’il dénomme « le savoir disponible ») « diminue structurellement de jour en jour« , et n’a même « jamais été très élevée sur le Web« . De quoi fouetter l’égo de plus d’un internaute qui se respecte.
Thierry Klein explique en effet que parce qu’il fonctionne sur un modèle publicitaire, qui met en avant la publicité avant le savoir, « Google s’adresse avant tout au consommateur qui est en vous, pas à l’homme ou à la femme de savoir« . « Votre soif de savoir, si tant est qu’un tel terme ait un sens, c’est l’alibi qu’il vous sert, le leurre avec lequel il vous attire. Laissez passer quelques années et vous vous retrouverez tous à lire des blagues idiotes, échanger des messages insignifiants sur Facebook, acheter en ligne ou à taper le mot le plus recherché sur Internet, c’est-à-dire » sexe » : vous ferez comme tout le monde« , croit savoir l’auteur.
Le propos, un brin provocateur, n’est pas inintéressant. Selon M. Klein, l’internaute qui va sur Internet « rentre dans une entreprise de distraction, au sens premier du terme, qui est celui de détournement« . Il déplore la présence sur Internet d’une « distraction permanente » qu’il faut « comparer à son comportement en bibliothèque, isolé, sans rien pouvoir faire d’autre« . L’homme serait incapable de se concentrer sur le savoir sans être presque physiquement contraint à l’austérité. Sur Internet, « au bout de quelques minutes, il a toutes les chances de se retrouver à faire autre chose que de la recherche (lire la Bourse, les résultats sportifs, tchater sur MSN…)« .
Il élabore même un théorème : « la quantité de savoir disponible est corrélée au pourcentage du nombre de pages web qui ne sont pas financées par la publicité« . Or, nous explique Thierry Klein, « Google, comme toutes les entreprises qui constituent ce qu’on appelle » le Web 2.0 » (Facebook, YouTube, DailyMotion…), oriente vos recherches pour que ce pourcentage diminue« .
C’est une pensée originale. Mais biaisée. L’auteur pense qu’un « page sans publicité a plus de chance d’être intéressante, au sens du savoir« , parce que « l’éditeur (d’un site avec publicités) n’a pas pour objectif d’augmenter votre connaissance, mais de vous faire cliquer sur un lien sponsorisé« . Il est vrai que Wikipedia pourrait servir de parfait exemple à la théorie. Sans doute parce que l’amateurisme, exercé par passion, est plus créatif que le professionnalisme, enfermé dans de multiples contraintes. Mais en rester là serait ne rien comprendre au cercle vertueux que provoque Google.
L’auteur reconnaît bien que « pour Google, la qualité des résultats est un moyen, non une fin« , mais il s’arrête en chemin. Car pour les éditeurs aussi, la qualité de la connaissance délivrée est un moyen de rentabiliser l’activité. Plus un site est qualitatif, plus il a de chances d’être souvent visité et d’apparaître en tête des moteurs de recherche. C’est en tout cas le pari que nous faisons sur Numerama depuis de nombreuses années, en essayant modestement d’apporter des informations qualitatives qui satisfont votre appétit de savoir. Sans cette exigence qualitative, Numerama serait enterré au fin fonds des résultats de Google, ne serait jamais visité, et sombrerait. C’est le cas de centaines de milliers de sites internet qui sont « condamnés à la qualité » pour exister. Tout comme Google sombrera le jour où il cessera de délivrer des résultats pertinents au profit des résultats les plus rémunérateurs pour lui. L’internaute en sort gagnant. Il accède à un savoir plus qualitatif, plus facilement accessible, à un coût souvent nul.
Par ailleurs, s’il est vrai qu’Internet tend vers la « distraction permanente« , il n’est pas certain que ça soit au détriment du savoir. L’apprentissage n’a pas à être une entreprise austère, comme semble le laisser croire le dirigeant de la société Speechi, éditeur de solutions d’enseignement. Les pédagogues ont depuis longtemps reconnu la force pédagogique du divertissement (on apprend d’autant mieux en s’amusant), mais aussi que l’on apprennait d’autant mieux que l’on était capable de laisser régulièrement le cerveau s’oxygéner. Ce qui, en quantité raisonnable, peut permettre les « distractions » pourfendées par M. Klein.
Déjà Socrate, en son temps, avait émis l’idée que le développement de l’écrit risquait de porter atteinte aux acquis de la culture, parce que les hommes « cesseraient d’exercer leur mémoire« .
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