Négocié dans la plus grande opacité, l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon (ACTA, Anti-Counterfeiting Tade Agreement) est une chose bien mystérieuse. Tout juste sait-on que son principal objet concerne les droits de la propriété intellectuelle et la lutte contre le piratage, grâce à une fuite en mai 2008. On avait alors appris que ce texte faisait suite aux accords de l’Organisation Mondiale de la Propriété de 1996.
Depuis, quelques rares initiés, soumis à un accord de non-divulgation, ont eu l’autorisation d’accéder aux textes de référence. Parmi eux se trouvent de grandes sociétés liées à l’informatique et à l’Internet, comme Google, eBay, Verizon ou encore Intel, mais aussi divers groupes de protection de la propriété intellectuelle, comme la MPAA et la RIAA ainsi que des ayants droits, à l’image de Sony ou encore Time Warner. Seuls une poignée de défenseurs des droits civils figuraient aussi sur cette liste : trois membres du Public Ecology Knowledge, un membre du Centre pour la Démocratie et la Technologie et un membre de l’Association des industries de l’Electronique Grand Public.
Et pour le reste de la population ? Hé bien, rien. Depuis au moins deux ans, les discussions portant sur l’ACTA sont systématiquement menées sous le sceau du secret. À plusieurs reprises, des organisations non-gouvernementales comme le Knowledge Ecology International (KEI) ou l’Electronic Frontier Foundation (EFF) ont réclamé la divulgation des documents liés à l’ACTA, selon le principe d’une loi américaine, la Freedom of Information Act, qui oblige les agences fédérales à transmettre leurs documents, à quiconque en fait la demande, quelle que soit sa nationalité.
Sauf que ce principe légitime de la liberté d’information se heurte systématiquement au mur du secret défense. En effet, le bureau exécutif du président des Etats-Unis, à travers son représentant au commerce, a systématiquement rejeté les requêtes de ces ONG, invoquant le décret présidentiel 12958 concernant des informations classifiées relatives à la sécurité nationale. Oui, donner au public l’accès au contenu de cet accord, qui est relatif à la protection des droits de propriété intellectuelle, est une menace pour la sécurité nationale américaine.
Or, avec l’arrivée d’un nouveau président à la tête de l’exécutif américain, l’ONG KEI a tenu à adresser un courrier à Barack Obama, ainsi qu’aux autres membres clés de son administration. Dans la missive, les responsables de l’organisation expliquent les problèmes qu’engendrent un traité multinational conçu à huis-clos, dont l’apport de la société civile manque cruellement. Souhaitant voir la situation évoluer, l’organisation appelle le président Obama à tenir ses promesses de transparence et de rendre le contenu de l’ACTA public.
Le Knowledge Ecology International suggère dès lors que « la seule justification pour conserver ce traité loin des yeux du public est justement pour éviter la moindre critique ou pensée constructive sur les normes qui sont élaborées. C’est un comportement absolument orwellien et une insulte à notre intelligence de faire croire que le secret entourant le texte de l’ACTA est justifié par des préoccupations sécuritaires« .
Andrew Norton, l’ancien responsable et porte-parole du Parti pirate américain, est même allé plus loin, suggérant que le secret est gardé à cause des graves révélations qui pourraient être faites : « ce n’est pas une question de sécurité nationale, c’est une question de sécurité d’emploi. De nombreux fonctionnaires ont visiblement peur, y compris le président Obama, de voir le degré de corruption révélé au grand jour, les rendant inéligibles à vie, perdant ainsi tout leur pouvoir et tout leur prestige« .
Envoyée aujourd’hui, la lettre comporte près de 180 signatures américaines et une vingtaine internationales, parmi lesquelles nous retrouvons celles de l’Electronic Frontier Foundation, Students for Free Culture, Cory Doctorow, Michael Geist, Lawrence Lessig ou encore Health Action International. Le sixième round des négociations sur l’ACTA ont débuté aujourd’hui, à Séoul.
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