Internet est-il une chance ou une malédiction pour le journalisme indépendant ? Si l’on aimerait croire qu’il s’agit d’une chance, qu’Internet permet à tous de s’exprimer et d’enquêter sans la censure de rédactions en chef trop frileuses, force est de constater qu’il y a matière à s’inquiéter. Les journaux en ligne payants doivent encore faire la preuve de leur rentabilité à long terme, tandis que les journaux gratuits financés par la publicité se laissent chaque jour un peu plus séduire par la facilité, quitte à renoncer aux valeurs les plus nobles du journalisme. A commencer par l’indépendance, de plus en plus menacée.
Aux Etats-Unis, AOL a annoncé son intention de modifier radicalement la manière dont ses journalistes choisissent les sujets qu’ils vont traiter, et la manière dont ils seront rémunérés. Le fournisseur d’accès à Internet, qui édite un portail d’informations très populaire, a décidé d’intégrer les annonceurs et les attentes des lecteurs dans les choix éditoriaux. AOL va mettre en place une plateforme qui détectera les sujets qui ont le plus d’intérêt aux yeux des lecteurs, en se basant notamment sur les recherches effectuées sur son moteur de recherche. Plus un thème est recherché, plus les diodes s’allument sur les moniteurs des journalistes pour leur suggérer de traiter le sujet. Le tout sera géré par la plateforme d’AOL Seed.com, qui coordonnera 3.000 journalistes freelances.
Le principe n’est pas tout à fait nouveau dans la presse, qui a l’habitude des « maronniers » pour attirer les lecteurs en fonction des périodes de l’année (les régimes à l’approche de l’été, l’immobilier à la rentrée, Noël, etc.), qui attirent des catégories d’annonceurs bien connus. Mais avec AOL, les journalistes seront aussi incités à choisir tous leurs articles en fonction des annonceurs. Le système va en effet évaluer combien les annonceurs seront prêts à payer pour sponsoriser un article sur un sujet, et le pigiste employé par AOL sera d’autant plus payé qu’il traite de sujets rémunérateurs. Concrètement, AOL pourra par exemple détecter l’intérêt des internautes pour un nouveau produit, et les équipes marketing démarcheront les revendeurs pour qu’ils sponsorisent un article parlant dudit produit.
Avec ce système, ça n’est plus le journaliste ni même le rédacteur en chef qui décident des sujets à traiter, mais le porte-monnaie. Les grands sujets longs à traiter, importants pour la démocratie mais qui rapportent très peu, passeront automatiquement à la trappe sous le diktat des annonceurs. C’est le libéralisme dans son effet le plus effroyable.
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