A première vue, ça paraît être une bonne chose. Le Répertoire des informations publiques du ministère de la Justice a publié ce mois-ci une licence « Information Publique Librement Réutilisable », dite licence IP, qui vise à faciliter la réutilisation des informations publiques. Une initiative fortement inspirée des licences Creative Commons.

En principe, en vertu de la loi du 17 juillet 1978, les données contenues dans des « documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que les [organismes chargés d’une mission de service public] » sont librement réutilisables, y compris à des fins commerciales. Mais comme le note Thomas Saint-Aubin sur Village-Justice, « de plus en plus de collectivités territoriales choisissent de diffuser leurs données publiques sous des licences Creative Commons By-ND« . La faute à une loi difficile à interpréter.

L’article 12 de la loi de 1978 dit par exemple que les informations publiques sont librement réutilisables « à la condition que ces dernières ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées« . Or modifier le format d’une donnée, est-ce l’altérer ? Prendre une donnée isolément sans l’assortir de son contexte initial, est-ce dénaturer son sens ?

De même, l’article 10 exclue du cadre des « informations publiques » celles issues de documents « sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle« . Or le droit d’auteur ne donnant lieu à aucun dépôt, difficile de savoir quand des données sont détenues par un tiers. On ne le découvre parfois qu’en recevant mise à demeure.

C’est donc pour « certifier la qualification juridique d’  » information publique  » au sens du droit français » et « précise(r) les conditions juridiques de réutilisation des informations publiques » que le ministère de la Justice a cru bon de créer cette licence. Elle doit rassurer les utilisateurs des informations, en particulier les entreprises qui florissent actuellement pour créer des applications en ligne et mobiles fondées sur les bases de données publiques.

Mais il y a tout de même quelque chose de dérangeant à cette initiative. La loi est la loi, et le contrat est le contrat. Créer un contrat type pour « préciser la loi », c’est contractualiser ce qui devrait être précisé par la jurisprudence ou par le décret. Et si la loi est trop mal écrite, il faut la réécrire. La licence est une facilité qui déresponsabilise le législateur, et qui retire aux citoyens le pouvoir de décider démocratiquement la nature juridique des documents issus de leur administration.

Que des personnes privées décident que la loi sur le droit d’auteur n’est pas assez claire et décident de sécuriser son interprétation par un contrat, c’est totalement admissible. Que l’administration elle-même juge la loi trop floue et décide d’en préciser les contours par un contrat, c’est un aveu d’échec. Il ne nous semble pas souhaitable de laisser ainsi le droit des informations publiques glisser vers un droit de nature contractuelle, donc fragile, alors qu’il doit s’agir d’un droit de nature législative, donc pérenne.

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