La guerre de l’accès sera sans doute le nouvel enjeu pour l’avenir d’Internet. L’accès au réseau des réseaux, l’accès à la connaissance, l’accès aux oeuvres culturelles. Cette problématique, initiée à travers des projets de lois comme Hadopi ou des traités internationaux comme l’ACTA, retrouve en arrière-plan la question de la neutralité du net.

Alors que se profile à l’horizon l’accord commercial anti-contrefaçon (ACTA), traité international qui a pour ambition de verrouiller le droit d’auteur et de propriété intellectuelle de millions de citoyens à travers le monde, Jérémie Zimmermann a saisi cette occasion pour faire un bilan des évolutions législatives autour d’Internet.

Pour le porte-parole de la Quadrature du Net, fameux collectif de citoyens dont le but est d’alerter la population d’éventuelles dérives législatives principalement dans le domaine de l’informatique et des droits numériques, le grand enjeu sera bel et bien la guerre de l’accès, avec en filigrane la question de la neutralité des réseaux. Nous publions in extenso, aux termes de la licence Creative Commons BY-SA, sa tribune.

« Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ; » – Conseil Constitutionnel, décision 2009-580 (⧠12)

Cette décision du Conseil constitutionnel au sujet de la loi HADOPI est historique à bien des égards. En déclarant explicitement que la liberté d’expression implique la liberté d’accéder à Internet, les sages ont reconnu l’importance cruciale de l’accès à Internet pour nos sociétés.

Aujourd’hui, des individus dans le monde entier utilisent Internet pour apprendre, travailler, communiquer, se divertir, faire des affaires, accéder à la culture, améliorer leur existence. Internet et les technologies numériques améliorent la façon dont nous accédons et partageons la connaissance de façon plus radicale encore que l’invention de la presse à imprimer autour de 1440. Et comme avec l’imprimerie, un meilleur accès à la connaissance permet à nos libertés fondamentales de s’exercer en vue d’améliorer la société.

Les industries du divertissement, effrayées et désemparées, ne souhaitent pas s’adapter à cette nouvelle ère qui remet profondément en cause leurs modèles économiques actuels. Elles tentent donc d’utiliser la loi pour imposer des restrictions à l’accès direct aux œuvres se passant de leurs services et de leur autorisation. Cette guerre de l’accès a été menée à l’échelle nationale, mais également européenne, et désormais à l’échelle mondiale avec l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) en cours de négociation.

Outre les industries du contenu, ce sont également les opérateurs télécom qui sont désormais tentés de restreindre l’accès au Net afin de privilégier leurs propres contenus et services. De telles pratiques les transformeraient en rentiers dont les modèles économiques reposeraient sur le contrôle discriminant du trafic, plutôt que sur l’investissement dans les infrastructures communes qui sont la base d’Internet. Ces comportements porteraient irrémédiablement atteinte à la neutralité du Net, principe fondateur d’Internet permettant à chacun de bénéficier de la même potentialité de participation et de contribution à cette nouvelle sphère publique en réseau.

Quelques acteurs dont les modèles économiques sont basés sur la maîtrise des canaux de distribution d’information voient dans le contrôle d’accès le moyen de maintenir leur position dominante. En brisant les barrières d’accès, Internet brise également, en toute logique, le contrôle injustifié de l’information, de la culture et de la connaissance. De même que l’imprimerie a remis en cause la position dominante que les moines copistes occupaient dans la société, le pouvoir de pans entiers d’industries devrait normalement être diminué, à mesure que le Net pénètre tout.

Dans un marché sain où la concurrence permettrait aux préférences de chacun de s’exprimer, de tels acteurs économiques s’adapteraient ou périraient. Mais ces entreprises préfèrent s’appuyer sur le soutien de politiciens partageant, afin de maintenir leur pouvoir, leurs objectifs de contrôle des médias et de la sphère publique. Ces pouvoirs économiques et politiques combinés seront-ils assez forts pour altérer radicalement la structure d’Internet?

D’un réseau libre et ouvert dans lequel chacun – tout du moins dans les pays démocratiques – a accès aux mêmes contenus, services et applications sans filtrage ni altération, le Net pourrait irrémédiablement se voir dénaturé en une interconnexion de réseaux centralisés, discriminés et filtrés. Un tel scénario de  » Minitel 2.0 « , semblable au réseau  » ChineNet « , n’est pas Internet.

Mais Internet a été construit sans ces acteurs économiques. Il a été créé par ses utilisateurs, tous pairs égaux dans un réseau ouvert et neutre. Il a évolué au fil des nouveaux usages et des innovations technologiques. Nous – citoyens, utilisateurs – pouvons revendiquer les principes fondateurs d’Internet comme notre bien commun. Nous avons le devoir d’utiliser ces technologies pour encourager tous les moyens d’expression et d’action afin de préserver le Net tel que nous le connaissons et l’aimons : un moteur pour l’innovation, la croissance économique, la démocratie et le progrès humain.

Il s’agit probablement d’une des batailles les plus importantes que nous – citoyens du monde – devons mener aujourd’hui, avec les fronts environnementaux, économiques et sociaux. Nos ancêtres se sont battus pour leurs libertés afin d’améliorer leurs sociétés, c’est désormais à notre tour de nous battre pour la liberté d’accéder à un Internet libre.

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