Interrogé par les Inrocks à l’occasion de la sortie de Film Socialisme, Jean-Luc Godard a livré un plaidoyer contre les dérives du droit d’auteur et l’idée-même de propriété intellectuelle.

Alors qu’il entrera bientôt dans sa quatre-vingtième année, et malgré une image de réalisateur vieillot dont on aime raconter les films sans jamais les regarder, Jean-Luc Godard est resté un cinéaste d’une grande modernité. A l’occasion de son dernier Film Socialisme, présenté au Festival de Cannes et déjà disponible en VOD, Godard envoie valdinguer la propriété intellectuelle en empruntant des extraits de films qu’il colle à ses images, sans l’autorisation de ses confrères.

Dans une longue et passionnante interview aux Inrocks, Jean-Luc Godard dit tout le mal qu’il pense des droits d’auteur tels qu’ils sont appliqués aujourd’hui. « Le droit d’auteur, vraiment c’est pas possible. Un auteur n’a aucun droit. Je n’ai aucun droit. Je n’ai que des devoirs« , explique-t-il. « Je suis contre Hadopi, bien sûr. Il n’y a pas de propriété intellectuelle. Je suis contre l’héritage, par exemple. Que les enfants d’un artiste puissent bénéficier des droits de l’œuvre de leurs parents, pourquoi pas jusqu’à leur majorité… Mais après, je ne trouve pas ça évident que les enfants de Ravel touchent des droits sur le Boléro…« .

En plus du privilège façon ancien régime que son les droits d’auteur post-mortem, forcément incompatible avec ses idées politiques, Godard trouve sans doute très désagréable l’idée que ses films, réalisés pour éveiller la conscience, ne seront pas disponibles dans le domaine public avant au moins les 70 années qui suivront sa mort. C’est la loi. Le débat existait déjà, beaucoup plus virulent, il y a deux siècles.

Plus que le droit d’auteur, c’est l’abus du droit d’auteur qui le dérange. L’appropriation exclusive de l’œuvre. « Il ne devrait pas y avoir de propriété des œuvres. Beaumarchais (qui a défendu le droit d’auteur et créé la SACD, ndlr) voulait seulement bénéficier d’une partie des recettes du Mariage de Figaro. Il pouvait dire « Figaro, c’est moi qui l’ai écrit ». Mais je ne crois pas qu’il aurait dit « Figaro, c’est à moi ». Ce sentiment de propriété des œuvres est venu plus tard. Aujourd’hui, un type pose des éclairages sur la tour Eiffel, il a été payé pour ça, mais si on filme la tour Eiffel on doit encore lui payer quelque chose.« 

Il estime que les artistes ont le droit de reprendre les images de ses films sans le demander. « D’ailleurs, des gens le font, mettent ça sur internet et en général c’est pas très bon… Mais je n’ai pas le sentiment qu’ils me prennent quelque chose« . Godard lui-même a repris dans son film des images de Plages, d’Agnès Varda, sans lui demander l’autorisation, et même sans la citer. Une pratique totalement interdite par le code de la propriété intellectuelle, mais qu’il juge légitime. « Ce plan n’est pas une citation, je ne cite pas le film d’Agnès Varda: je bénéficie de son travail. C’est un extrait que je prends, que j’incorpore ailleurs pour qu’il prenne un autre sens« . Il est d’accord pour le payer, mais pas au prix exigé par le producteur. « Si Agnès me demandait de l’argent, j’estime qu’on pourrait la payer au juste prix. C’est-à-dire en rapport avec l’économie du film, le nombre de spectateurs qu’il touche…« 

« Quand la loi n’est pas juste, la justice passe avant la loi« , dit l’avant-dernière citation du film. « C’est par rapport au droit d’auteur. Tous les DVD commencent par un carton du FBI qui criminalise la copie. Je suis allé chercher Pascal« , explique Godard. C’est d’ailleurs sur cette image du FBI, qui prend le consommateur pour un coupable en puissance, qu’est dite la citation.

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