Ce n’est pas une nouveauté, les États-Unis ne voient pas d’un très bon oeil les tentatives de filtrage et de blocage des contenus sur Internet, surtout lorsque ces décisions sont prises dans des pays étant en indélicatesse avec la démocratie et les droits de l’Homme. En effet, les États-Unis considèrent le réseau des réseaux comme un prolongement potentiel de leur influence et de leur soft power à l’étranger.
Il suffit de se souvenir des propos de la Secrétaire d’Etat des États-Unis, Hillary Clinton, qui déclarait en mars dernier que « ceux qui perturbent le libre flux de l’information dans nos sociétés sont une menace pour notre économie, notre gouvernement et notre société civile« . Et de rappeler que les USA seraient prêts à fournir une assistance pour contourner autant que possible les tentatives de filtrage ou de censure.
L’une des illustrations les plus notables de cet activisme remonte à 2009. À l’époque, l’Iran était secoué par d’importantes manifestations contestant la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. L’opposition contestait le scrutin, affirmant que le déroulement de l’élection avait été entaché de fraudes massives. Or, il est de notoriété publique que l’Iran et les États-Unis n’entretiennent pas les plus saines et les plus apaisées des relations internationales.
Pour soutenir indirectement les protestations, le Département d’Etat américain avait contacté les administrateurs de Twitter pour leur demander de reporter une maintenance critique de leur système afin de permettre à l’information de circuler, notamment en Iran. Une demande bien évidemment acceptée, dans la mesure où les administrateurs de Twitter considèrent leur service comme étant bien plus qu’un simple réseau social.
Et comme nous l’écrivions alors, qui aurait pu imaginer qu’un département aussi important que le Département d’Etat allait demander à un réseau social dont la fonction se limite globalement à l’envoi de SMS sur Internet d’être l’un des vecteurs démocratiques pour soutenir les protestations en Iran ?
C’est sans doute dans cette même optique que la représentante démocrate Zoe Lofgren a apporté son soutien à une nouvelle proposition de loi (.pdf) intitulée « One Global Internet ». Ce texte, soutenu par des membres républicains et démocrates de la Chambre des représentants, a pour objectif de faire pression sur des pays ayant une approche divergente en matière d’Internet et de standards technologiques.
Selon Mike Masnick, qui s’est penché sur ce document, ce texte vise spécifiquement des pays bloquant de larges pans du net, à l’image de l’Afghanistan et du Pakistan qui ont décidé de filtrer de nombreux sites web suspectés de proposer du contenu pouvant heurter les sensibilités religieuses de la population. Mais la proposition de loi cible aussi des pays comme la Chine, qui se sont illustrés en essayant de produire leur propre standard face à des technologies pourtant largement répandues (Wi-Fi, DVD, connexion 3G).
Et si pour l’heure, aucune de ces tentatives n’a abouti, les représentants américains ne veulent pas attendre les premiers succès étrangers pour réagir. Selon eux, le principal argument en faveur de cette loi est que l’unicité d’Internet lui permet d’être parfaitement fonctionnel. S’il est fragmenté en différents morceaux, à cause du filtrage, de la censure ou de l’apparition de nouvelles normes, Internet perdrait beaucoup de sa superbe.
Or, comme le souligne notre confrère, cette mesure pose de nombreux problèmes. Si l’idée part d’un bon sentiment, on peut se demander comment les USA vont bien pouvoir rendre effective une telle loi. En effet, si un pays – souverain – veut filtrer absolument le net pour bloquer certains contenus en fonction de critères qui lui sont propres, il sera difficile pour l’administration américaine de faire quoi que ce soit.
Preuve en est, de nombreux pays en indélicatesse avec la démocratie filtrent déjà le réseau des réseaux. Citons ainsi, selon Reporters Sans Frontières, la liste des pays les plus réputés en matière de cybercontrôle : l’Arabie saoudite, la Birmanie, la Chine, la Corée du Nord, Cuba, l’Egypte, l’Iran, l’Ouzbékistan, la Syrie, la Tunisie, le Turkménistan, le Viêt-nam. Même l’Australie, dans une certaine mesure, est désormais sur une pente très glissante avec son projet de grande barrière numérique.
C’est la même chose du côté des standards. Si un pays conçoit d’autres technologies, d’autres normes, d’autres standards, il sera difficile de l’en empêcher. À moins d’entrer dans une longue et difficile diplomatie ou de poursuivre cette politique par « d’autres moyens ». Une idée qui n’aurait certainement pas les faveurs de la Maison Blanche.
Dans le pire des cas, cela affecterait surtout les entreprises high-tech voulant travailler dans un pays s’écartant des normes globalement acceptées ailleurs. Investir un tel marché sera difficile, mais l’inverse sera vrai aussi. En s’éloignant de la tendance générale, le pays va certainement se tirer une balle dans le pied.
Quoiqu’il en soit, cette proposition de loi s’apparente dans les grandes lignes au rapport spécial 301, un document rédigé par le représentant américain au commerce. Ce papier vise à faire le point sur « la pertinence et l’efficacité des droits de propriété intellectuelle » à travers le monde. Il s’agit en fait d’une liste de pays considérés comme problématiques au niveau du droit d’auteur.
Ainsi, lorsque de gros intérêts économiques sont en jeu, les précautions habituellement en vigueur lorsqu’on s’adresse à un pays ami sont nettement moins essentielles. On se souvient par exemple des demandes répétées de la MPAA de prendre au plus vite des sanctions contre l’Espagne, un pays peu enclin à condamner les internautes échangeant des fichiers sur les réseaux peer-to-peer.
En définitive, s’il n’est peut-être pas souhaitable que des pays filtrent ou censurent des contenus sur Internet, il n’est sans doute pas non plus recommandé d’en passer par une loi américaine pour pousser le gouvernement américain à intervenir auprès des Etats en question. Surtout qu’on se demande bien comment une telle loi sera appliquée.
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