À l’origine, la loi Hadopi devait avoir un effet à deux niveaux. D’une part, susciter la crainte chez les internautes adeptes du téléchargement illicite, en brandissant tout un panel de sanctions pouvant aller jusqu’à la suspension de la connexion à Internet. D’autre part, par ricochet, la loi devait soutenir le circuit commercial classique, notamment à travers les plates-formes légales de téléchargement.
C’était d’ailleurs ce qu’a cherché à rappeler Frank Riester, l’ancien rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, en notant que les chiffres de l’industrie musicale et de la vidéo à la demande étaient repartis à la hausse, avec respectivement +28,7 % sur le numérique au premier trimestre et +60 % en 2009 pour la VOD. Pour lui, c’était « la preuve que le débat pédagogique suscité par le vote des deux lois a permis d’infléchir le comportement des internautes« .
Malgré tout l’enthousiasme du l’ancien rapporteur, l’inflexion des internautes reste assez mesuré. En effet, si les ventes numériques dans la VOD et dans la musique connaissent une certaine embellie, la loi Hadopi a également eu des effets collatéraux que ne souhaitaient certainement pas les instigateurs de la loi. En 2009, le terme Allostreaming était devenu la recherche ayant connu la plus forte progression en 2009.
Par ailleurs, la Cité de la Musique a publié son dernier baromètre mensuel (.pdf) Gfk / Observatoire de la musique sur « le marché du CD audio en juin 2010« . Sur la période analysée (juin 2009 – juin 2010), le marché a très nettement décroché, à la fois en volume et en valeur. En effet, les ventes de CD ont reculé de 18,6 % en volume et de 17,4 % en valeur.
Signe des nouvelles habitudes de consommation, les ventes dans les Grandes Surfaces Spécialisées (GSS) dégringolent très nettement, avec un recul de 20 % en volume et -17,7 % en valeur. Même constat dans les Grandes Surfaces Alimentaires (GSA), avec -17,9 % en volume et en valeur. Seul le canal Internet a bien résisté, en ne reculant « que » de 3 % en volume et 3,7 % en valeur.
Plusieurs éléments peuvent concourir à ces multiples reculs.Tout d’abord, ces canaux de distribution subissent la très forte concurrence des plates-formes légales de téléchargement, qui proposent des fichiers musicaux sous format numérique. À l’heure où les baladeurs multimédias et les téléphones mobiles équipent de nombreux individus, le CD audio poursuit son long et sans doute inexorable déclin, quoiqu’en dise le prochain PDG d’Universal Music.
L’autre facteur, peut-être moins évident à percevoir, touche probablement à l’applicabilité réelle de la loi Hadopi. En effet, les ayants droit espéraient bien que cette nouvelle loi engendre un effet psychologique chez les pirates, afin qu’ils se détournent une bonne fois pour toutes des réseaux peer-to-peer. Or, voilà plusieurs mois que la riposte graduée à la française ne parvient plus à effrayer les internautes. Au grand dam du SNEP.
En effet, son directeur général, David El Sayegh avait expliqué que « beaucoup de choses restent en suspens« , bien que les différents acteurs du dossier ont progressé ces derniers semaines, notamment en obtenant de la CNIL l’autorisation de collecter des adresses IP. Mais sur d’autres dossiers, comme les décrets d’application, la riposte tant attendue par les ayants droit semble bien désarmée.
Il est évident que ces difficultés ne jouent pas en la faveur des ayants droit, ni des plates-formes légales, même s’il est difficile de savoir exactement dans quelles proportions ces retards ont joué dans ces mauvais résultats. Mais à en croire le SNEP lui-même, une chose est sûre : la peur du gendarme va reculer, si ce n’est pas déjà fait.
« Ca tarde et on ne comprend pas pourquoi. Il est évident que cet effet psychologique initial d’Hadopi ne va pas durer si les internautes qui téléchargeaient retrouvent un sentiment d’impunité » avait poursuivi David El Sayegh. « Il n’y a pas de mécontentement, mais beaucoup d’expectative de notre part, des attentes qui se transforment en préoccupations« .
Reste que le tableau n’est pas tout noir. Si la loi Hadopi a effectivement poussé involontairement de nombreux internautes vers des solutions plus directes (téléchargement via des hébergeurs comme RapidShare), tout en se préservant d’avantage (réseaux VPN comme iPredator), d’autres exemples montrent que des offres légales de qualité parviennent à tirer leur épingle du jeu. Le succès de Spotify, désormais accessible sur Linux, en est d’ailleurs un exemple.
En définitive, les ventes de CD audio peuvent à terme être compensées par les offres des plates-formes légales de téléchargement. Mais encore faut-il que les ayants droit poursuivent leurs efforts en ce sens, en soutenant des projets attractifs. Le succès de Hulu aux Etats-Unis devrait pourtant inciter certains à creuser de ce côté-là.
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