C’est une question que nous avons posée un peu brutalement sur Twitter en apprenant la mort du réalisateur Alain Corneau : « Est-ce de mauvais goût de rappeler qu’Alain Corneau était un lobbyiste pro-Hadopi et qu’on ne peut pirater ses films pour honorer sa mémoire ?« . Les réponses furent parfois violentes. Au delà de l’apparente provocation dans un temps qui doit être tout entier réservé au deuil et à l’éviction de toute polémique, cette question pose un véritable problème de fond. Peut-on en effet, malgré le droit d’auteur, honorer la mémoire des artistes défunts d’une manière compatible avec les pratiques culturelles de l’ère numérique ?
Les chaînes de télévision et les magazines le savent depuis longtemps, lorsqu’une personnalité décède, il naît de la part du public le désir de découvrir ou redécouvrir leurs œuvres. Les couvertures de presse sont nombreuses, les programmes de télévision sont chamboulés pour diffuser en prime time des films qui auraient fait un flop d’audience en temps ordinaire, les maisons de disques vendent des best-of en grand nombre… mais avec Internet, le public s’auto-alimente d’images et de souvenirs, sans demander la permission.
Plus question d’attendre les rediffusions sur France 3, ou les hagiographies dans L’Express. Les internautes relisent et complètent la biographie d’Alain Corneau sur Wikipedia, diffusent eux-mêmes des vidéos d’hommage sur Dailymotion, et piratent massivement ses films sur BitTorrent ou eMule. C’est, en 2010, la manifestation d’une pratique moderne du deuil collectif. Mais une pratique illicite, pour ce qui concerne le téléchargement et le partage des œuvres.
Pour se souvenir de ses œuvres, les internautes doivent suivre la programmation des chaînes, ou payer pour les quelques films disponibles sur les plateformes de VOD (Le choix des armes, Nocturne Indien, Le Cousin, Stupeur et Tremblements…).
Pour revoir Tous les matins du monde, primé en 1992 du César du meilleur film et de celui du meilleur réalisateur, il faut en revanche le trouver en DVD, ou s’en remettre au piratage. Le seul long métrage de la discrographie d’Alain Corneau à être ainsi primé n’est pas disponible sur les plateformes légales, alors qu’on le trouve sans difficulté sur les réseaux P2P, ou sur des sites de streaming illégaux.
Or le réalisateur, qui avait récemment cédé à Christophe Barratier à sa place de président d’un groupement de défense de la taxe pour copie privée, fût l’un des grands auteurs français favorables à la loi Hadopi. Christine Albanel l’a souvent cité comme caution morale dans l’hémicycle.
Il ne s’agit pas pour nous de le dénoncer, mais de le remarquer. Car il est remarquable que le droit d’auteur défendu avec vigueur par Alain Corneau, à tort ou à raison, soit aujourd’hui un obstacle au désir de mémoire dont s’emparent, sans doute, beaucoup d’internautes, à son égard.
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