Ils espéraient sans doute que ça passe inaperçu. Raté. Lors de l’examen du projet de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, au cours duquel il a sauvé l’accès de la Sacem aux fichiers du fisc, le gouvernement a déposé mardi à la dernière minute un amendement repéré par Samuel Authueil, qui modifie la loi Hadopi. Il a été adopté après minuit par une majorité disciplinée.
Cet amendement 151 étend le périmètre des missions de l’Hadopi en matière d’offre légale et d’observation des usages, en indiquant qu’elle « peut engager toute action de sensibilisation des consommateurs et des acteurs économiques dans les domaines énumérés aux alinéas précédents, et apporter son soutien à des projets innovants de recherche et d’expérimentation, conduits par des personnes publiques ou privées et dont la réalisation concourt à la mise en œuvre de la mission qui lui a été assignée au 1° de l’article L. 331-13« .
Autrement dit, la Haute Autorité pourra désormais octroyer des subventions aux acteurs privés pour tout ce qui concerne le « développement de l’offre légale et d’observation de l’utilisation licite et illicite des œuvres« . Il s’agira aussi bien de financer la création ou la maintenance de plateformes de musique en ligne ou de VOD, que de financer des études de marché et autres sondages commandés par des lobbys de l’industrie culturelle.
Le procédé législatif nocturne n’a pas déplu à Pascal Nègre, le président d’Universal Music France, qui lorsque l’amendement a été découvert estimait sur Twitter que « cela m’a l’air plutôt positif et consensuel pour une fois :)« . Pas sûr. Avec cette modification législative, le budget de plus de 12 millions d’euros de l’Hadopi va servir pour partie à ajouter une perfusion supplémentaire au bras des maisons de disques et des studios de cinéma, alors que le gouvernement a déjà provisionné 75 millions d’euros sur 3 ans pour la Carte Musique Jeune (qui certes, est un échec cuisant, ce qui devrait réduire la note pour le contribuable…). Quelles seront les modalités d’octroi des subventions ? Sur quels critères ? Avec quelles égalités des chances pour les différents projets proposés ? Une telle proposition promet soit de créer une situation d’avantage concurrentiel anormal pour la ou les quelques plateformes financées, soit d’aboutir à des financements tellement nombreux qu’ils en deviendront insignifiants et inutiles, tout en restant aussi coûteux pour l’Etat. S’il était si consensuel que cela, le gouvernement n’aurait pas présenté son amendement à la dernière seconde, dans un texte qui n’a rien à voir avec le sujet.
En séance, le député UMP Lionel Tardy a bien tenté de demander au gouvernement de retirer son amendement, sans succès. Le député socialiste Alain Vidalies a prévenu que son groupe saisira le Conseil constitutionnel pour sanctionner ce qu’il estime être un cavalier législatif, c’est-à-dire un texte qui n’a rien à voir avec l’objet de la loi examinée. « Nous ne sommes pas dans la clarification du droit mais dans l’ouverture de droits pour quelques autres« , a fait observer le député, qui doute que le Parlement ait pensé lors du vote de la loi Hadopi « que le rôle d’Hadopi a pu être de rémunérer des acteurs privés« .
C’est le député UMP Frank Riester qui est venu défendre le gouvernement. « Si, il s’agit de clarification« , a-t-il insisté, sans le démontrer. L’ancien rapporteur des lois Hadopi a sans doute oublié au passage qu’il aurait été plus élégant et plus respectueux de la séparation des pouvoirs de ne pas venir à l’hémicycle défendre un amendement qui étend les missions du collège de la Haute Autorité… dont il est membre, et au titre de laquelle il reçoit une rémunération (Mise à jour : l’Hadopi nous indique que Frank Riester a renoncé à sa rémunération, ce qui ne change strictement rien au conflit d’intérêts). On imagine que dire que l’Hadopi est une « autorité administrative indépendante » n’est qu’une vue de l’esprit, et qu’il a souhaité en faire la démonstration…
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