L’affaire n’est pas encore définitivement jugée, mais elle est en bonne voie. Jeudi dernier, le 3 février 2011, l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu ses conclusions au sujet du droit des Européens à accéder dans leur pays aux retransmissions d’émissions en principe accessibles uniquement dans un autre état membre, par satellite. Si son point de vue est suivi, ce qui est souvent le cas, la décision de Cour pourrait avoir une répercussion importante sur toute la gestion territoriale des droits d’auteur dans l’Union Européenne, en particulier sur Internet.
En l’espèce, il s’agit d’un conflit qui oppose l’association de la Premier League de football britannique (FAPL), qui commercialise les retransmissions de matchs de la première division du championnat anglais, à des entreprises qui importaient leur carte de décodeur depuis la Grèce. Pour négocier ses droits pays par pays, la FAPL oblige ses clients diffuseurs à chiffrer leur signal satellite par une clé qui ne peut être décodée que par une carte vendue exclusivement dans leur pays. Ce qui fait qu’une carte vendue en France ne peut décoder que le signal émis par une chaîne française. Mais techniquement, rien n’empêche d’importer une carte destinée à décoder une chaîne étrangère. Juridiquement, la CJUE doit dire si cette pratique est légale.
Dans ses conclusions, l’avocat général réfute tout d’abord l’idée que la carte de décodeur importée deviendrait subitement un « dispositif illicite » de contournement des droits d’auteur, du fait de son importation. « Si le transport transfrontalier de dispositifs d’accès conditionnels licites suffisait à les rendre illicites, cela serait difficilement compatible » avec la libre circulation des services, écrit-il. « Si le législateur de l’Union avait effectivement voulu protéger le partage géographique des marchés télévisuels et sanctionner le simple contournement de ce partage grâce à l’introduction dans d’autres États membres de cartes de décodeur licites dans l’État membre d’origine, il aurait dû l’exprimer beaucoup plus clairement« .
Les restrictions géographiques : « une atteinte grave à libre prestation des services«
Par ailleurs, au delà du droit de contourner les restrictions par l’importation, l’avocat général s’interroge sur la légalité-même de ces restrictions. Il s’agit selon lui d’une « atteinte grave à libre prestation des services« , d’une question qui « revêt une importance considérable pour le fonctionnement du marché unique« , et il prévient qu’il « existe des problèmes comparables pour l’accès à d’autres services, par exemple la commercialisation de programmes informatiques, de morceaux de musique, de livres électroniques ou de films sur Internet« .
« Souvent, sur certains marchés, l’accès à de tels produits est totalement exclu, soit parce que certaines versions linguistiques ne sont proposées qu’aux clients de certains États membres, soit parce que les clients de certains États ne peuvent pas du tout acheter le produit« , fait remarquer celui qui a pour charge de défendre l’intérêt public européen. Il prévient les ayants droit que les restrictions, en plus d’être contraires au marché unique, risquent d’être contreproductives : « Ainsi, à l’automne 2010, des revendeurs du Royaume-Uni ont annoncé qu’ils ne pouvaient plus vendre de livres électroniques à des clients extérieurs à cet État membre. Pour beaucoup de livres en langue anglaise, il n’existe pas d’offre comparable dans d’autres États membres (…) De telles barrières incitent inutilement les consommateurs à se procurer illégalement les produits correspondant, c’est-à-dire, notamment, sans aucune rémunération du titulaire des droits« .
Parce que « la possibilité de commercialiser les droits d’émission sur le fondement d’une exclusivité territoriale, revient à tirer un bénéfice de la suppression du marché unique« , l’avocat général estime que tout « accord entre producteur et distributeur qui tendrait à reconstituer les cloisonnements nationaux dans le commerce entre États membres » est illégal. « De telles licences prévoyant une protection territoriale absolue sont incompatibles avec le marché unique« , condamne-t-il.
S’agissant des cartes de décodeur pour satellite, l’importation permet relativement simplement de contourner la restriction. En revanche, sur Internet où le contrôle de l’adresse IP permet de vérifier la provenance géographique de l’utilisateur, le contournement est plus complexe (même l’utilisation de proxys n’est pas simple, puisqu’ils sont souvent bloqués). Si elle suit l’avis de son avocat général, la CJUE devrait rappeler que les ayants droit n’ont pas le droit d’interdire à un internaute d’un état membre d’accéder aux contenus proposés aux internautes d’un autre état membre.
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