Le gouvernement et la majorité parlementaire auront eu raison de s’obstiner et de revenir à la première version du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi). Défiant les pronostics, les sages du Conseil constitutionnel ont validé jeudi soir l’article 4 du projet de loi, qui prévoit l’obligation pour les fournisseurs d’accès à Internet de bloquer « sans délai » l’accès aux sites à caractère pédopornographique dont la liste leur sera communiquée par l’administration policière, sans contrôle du juge.
C’est une surprise car comme nous l’avions rappelé dans un précédent article sur la saisine du Conseil constitutionnel, les sages n’avaient accepté le principe d’un filtrage dans la loi Hadopi que dans la mesure où « la « juridiction saisie » ne prononce « que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause« . Or il n’y avait dans l’article 4 soumis au Conseil ni l’intervention d’une juridiction, ni contrôle de la proportionnalité du filtrage, qui est une obligation de résultat et non de moyens. « Sauf à ce que le Conseil constitutionnel juge que la lutte contre la pédopornographie justifie toutes les atteintes aux autres droits fondamentaux, le texte devrait en toute logique être censuré« , avions nous écrit. Or c’est ce qui s’est passé.
Pour justifier sa décision, le Conseil affirme que « ces dispositions assurent une conciliation qui n’est pas disproportionnée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789« . Il reprend la dialectique du gouvernement en écrivant que la possibilité pour l’administration d’exiger le blocage d’un site existe « pour la protection des utilisateurs d’internet« , et non contre eux, et rappelle que le blocage n’est possible que « dans la mesure où (les sites bloqués) diffusent des images de pornographie infantile« . Les sages réfutent également l’absence de contrôle judiciaire puisque « la décision de l’autorité administrative est susceptible d’être contestée à tout moment et par toute personne intéressée devant la juridiction compétente, le cas échéant en référé« . C’est-à-dire que le Conseil constitutionnel se contente d’un contrôle a posteriori sur saisine, et ignore (ou fait semblant d’ignorer) que les sites impactés injustement peuvent ne pas le savoir, ou être situés à l’étranger où le recours au juge administratif se fera plus difficilement. La question de la réparation des surblocages posera inévitablement problème.
Assez logiquement, le Conseil n’a pas voulu s’intéresser à l’inefficacité technique du filtrage, puisque ça n’est son rôle d’apprécier la pertinence des choix du législateur. Il a aussi noté que le blocage des sites donnerait lieu à indemnisation des FAI par l’Etat, ce qui est conforme à sa jurisprudence.
Ainsi le filtrage en tant que mesure obligatoire imposée par l’administration, sans vérification préalable du caractère illicite des sites à bloquer, fait son entrée dans le droit français. La crainte, désormais, est de voir la brèche exploitée par le législateur pour étendre le filtrage sans juge à d’autres domaines que la lutte contre la pédopornographie. Sur ce point, le commentaire aux Cahiers (.pdf) du Conseil constitutionnel est un peu rassurant, même s’il ne constitue absolument pas une garantie. Il prévient en effet qu’avec cette mesure de filtrage « il s’agit de lutter contre l’exploitation sexuelle des mineurs, ce qui peut justifier des mesures que la préservation de la propriété intellectuelle ne peut fonder« . Un projet de loi qui étendrait le filtrage au blocage de sites pirates serait donc a priori rejeté. D’autres domaines pourraient en revanche être acceptés, notamment ceux qui touchent à la santé publique.
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