L’an dernier, la Commission permanente de contrôle des sociétés de gestion et de répartition des droits (SPRD) avait publié un rapport accablant sur la rémunération des dirigeants de la Sacem et d’autres sociétés de gestion de droits d’auteur et droits voisins. Brûlant, le document avait convaincu des parlementaires de demander l’ouverture d’une commission d’enquête, alors que le président de la Sacem Bernard Miyet avait défendu son très haut niveau de salaire. Lui-même touche environ 600 000 euros annuels, et en moyenne les 10 cadres les mieux payés à la Sacem touchent 257 000 euros, indiquait l’an dernier le rapport publié par les services de la cour des comptes.
Cette année encore, la commission permanente de contrôle des SPRD ne lâche pas la Sacem. Mais elle axe cette fois son angle attaque sur les montages juridico-financiers qui placent la Sacem au coeur d’une « galaxie » de sociétés de gestion. Laquelle a pour principal effet de multiplier des prélèvements de charges qui amputent les sommes effectivement reversées aux ayants droit.
500 millions d’euros de perceptions déléguées
Dans son nouveau rapport annuel (.pdf) publié ce mercredi, lourd de 310 pages extrêmement fouillées, la Commission détaille en effet l’existence d’une multitude de sociétés ultra-spécialisées, qui servent souvent d’intermédiaires entre le payeur des droits et la Sacem. Avec une forte consanguinité. Le rapport compte que « pas moins de douze sociétés d’ayants droit et trois sociétés, elles même déjà intermédiaires, sont parties prenantes, directement ou non, au capital de onze sociétés de gestion collective actuellement existantes« .
« Le nombre élevé de sociétés qui ne représentent pas directement des ayants droit et le rôle formel important qui leur est dévolu dans l’organisation de la gestion collective, alors que la plupart d’entre elles ne disposent pas de moyens propres, est un des traits les plus singuliers de la gestion collective à la française (…) Il n’est guère démontré que ces intermédiations multiples et de pure forme aient contribué à la transparence des relations économiques entre les sociétés partenaires« , écrit la Commission. Or la Sacem est au coeur de ce système, où elle occupe « une place prépondérante centrale à travers les liens capitalistiques et hiérarchiques qu’elle entretient« .
Par exemple, pour des sociétés qui interviennent dans la collecte la taxe pour copie privée (SDRM, Copie France et Sorecop), « leurs propres responsables se trouvent être tous des salariés de la SACEM, et parfois de leurs dirigeants« .
Le rapport explique que plutôt que d’étendre les pouvoirs des sociétés de gestion existantes, les ayants droit préfèrent souvent créer de nouvelles sociétés spécialisées par types de droits et par types d’œuvres. Ces sociétés vides de structure délèguent la gestion effective aux services de la Sacem, qui concentre « l’essentiel des moyens en personnel du système français de la gestion collective » en France. Puis la Sacem, bien sûr, facture ses services. « Le fonctionnement de ce système capitalistique déjà complexe implique (…) un réseau plus dense encore et qui connaît souvent plusieurs stades successifs, de prestations intersociétés, de rémunérations pour services rendus et de reversements de droits« .
Ces dernières années, selon la commission, 40 % des perceptions annuelles auraient ainsi été exercées par délégation, soit environ 500 millions d’euros. Lesquels sont « par la suite, souvent redistribués à travers des filières à étapes multiples« , avant d’être effectivement versés aux bénéficiaires.
La Commission dénonce ainsi « une cascade de facturations ou de retenues pour frais de gestion« , qui est selon elle « opérée dans des conditions qui n’assurent guère la transparence ni de la justification économique de chacun de ces prélèvements, ni de leur incidence globale sur l’amputation globale qui en résulte pour la ressource distribuée« . En clair, les ayants droit qui reçoivent leurs relevés de droits et leur chèque n’ont pas idée de ce qui a été amputé aux différents étages. Or la commission juge « difficilement admissible que, dans certains cas, le cumul des prélèvements pour frais de gestion puisse atteindre ou avoisiner la moitié du montant des perceptions primaires« .
Plus de transparence pour les ayants droit
La Commission encourage donc les ayants droit à demander des comptes, y compris lorsqu’ils pensent que leur activité n’a pas de lien avec la Sacem. « Les services de la SACEM sont les mandataires, directs ou indirects, de délégations de gestion relatives à des domaines de perception dont les destinataires excèdent largement son propre périmètre social (les auteurs et éditeurs d’œuvres musicales)« , constatent en effet les rapporteurs. Ils préviennent que « les auteurs des domaines dramatiques et multimédia ou les ayants droit de l’image fixe ou de l’écrit » sont aussi concernés par la qualité de la gestion de la Sacem, « du fait des répercussions de charges découlant des prestations déléguées à ses services« .
« A défaut d’une maîtrise directe de ces charges, (ces ayants droit) sont en droit d’attendre que leur soient garanties la plus complète transparence sur les méthodes de répercussion de charges et leur adéquation à la réalité économique des moyens engagés comme à un équitable partage des gains de productivité« .
Pour la Commission, « cet effort de transparence ne pourrait que faciliter l’évaluation de l’efficience du système d’organisation retenue, inciter à faire pleinement bénéficier les ayants droit finaux des gains de productivité susceptibles d’être obtenus et contribuer ainsi à restaurer, lorsqu’elle est contestée, la légitimité de la gestion collective« .
Ce rapport tombe à point nommé, au moment où Frank Riester et des industriels de la filière musicale travaillent à l’élaboration du futur Centre National de la Musique, qui aura pour charge d’élaborer de nouvelles taxes à collecter sur les télécoms. Avec, sans doute, la tentation de créer de nouvelles sociétés de gestion dédiées à ces taxes. La Commission de contrôle des SPRD écrit en effet qu’il n’est « pas exclu que des solutions du même type soient envisagées dans l’éventuelle recherche des modalités de gestion collective, volontaire ou obligatoire, adaptées à la rémunération des nouvelles utilisations numériques des œuvres« .
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