Ca n’est qu’une anecdote, mais elle en dit long sur la difficulté de certains ayants droit à sortir de leurs schémas habituels de pensée. A la mi-journée, nous rapportions que Canal Plus avait demandé à YouTube le retrait d’une vidéo de 47 secondes dans laquelle apparaissait Eric Besson. Voyant cela, le ministre a demandé à ses équipes de demander à Canal+ de retirer sa demande de retrait, et donc de laisser les internautes partager librement cet extrait utilisé pourtant pour se moquer de lui. Beau joueur.
Mais Canal Plus n’a pas cru le ministre. Interrogé sur Twitter pour savoir si elle allait répondre favorablement à la demande d’Eric Besson, la chaîne nous a répondu non, pour deux raisons, détaillées dans deux tweets dont le deuxième a été supprimé par la suite :
- La vidéo est en ligne sur notre site depuis le début. cplus.fr/ty/53R
- Le tweet cité d’@Eric_Besson ressemble beaucoup à un fake quand même. Donc « cool cool les tw ».
Eric Besson ayant adopté sur Twitter un langage plus proche du propos personnel décontracté que de la communication institutionnelle, le community manager de Canal Plus a cru qu’il s’agissait d’un faux profil. Alors qu’il est bien certifié par Twitter et qu’il appartient bien au ministre. Ca n’est qu’une bourde sans conséquences, d’ailleurs rapidement supprimée ; mais elle montre à quel point la chaîne est incapable de comprendre pourquoi un ministre irait lui demander de rétablir une vidéo de 47 secondes dont elle a obtenu le retrait au nom de ses droits d’auteur.
C’est d’ailleurs ce que finira par nous demander @CanalPlusFR au terme d’un débat : « A partir du moment où la vidéo est visible à tous sur notre site, où est le problème ?« .
Nous allons donc lui expliquer où sont les problèmes de la vision ultra-protectrice du droit d’auteur qu’a Canal Plus. Sans ordre particulier, et sans prétendre à l’exhaustivité :
- Si Canal+ se réserve l’exclusivité de la diffusion de ces 47 secondes, la chaîne peut-elle garantir qu’elles resteront visibles sur son site encore pendant les 1,5 milliards de prochaines secondes, c’est-à-dire jusqu’au moment où elles passeront enfin dans le domaine public, dans 50 ans ?
- Canal+, qui diffuse souvent des images amateurs tirées de YouTube ou autres Dailymotion dans ses émissions et journaux, peut-elle certifier sur l’honneur n’avoir jamais, à aucun moment, diffusé la moindre vidéo dont elle n’avait pas les droits ? Par exemple lors des évènements à Haïti, au Japon, en Egypte, en Tunisie ou en Libye. N’a-t-elle pas non plus cité le moindre tweet, utilisé le moindre montage photo fait par un internaute, ou cité un blog ?
- Dans le cas où elle aurait diffusé elle-même des extraits de vidéos, des photos, ou des textes produite par des tiers, sans leur autorisation, au nom de quel droit supérieur s’arrogerait-elle des droits qu’elle refuse aux autres ?
- Il est faux de dire que la vidéo est visible par tous, puisqu’elle est au format Flash qui est inaccessible, par exemple, sur les appareils iOS (iPhone, iPad…). Contrairement à sa version YouTube qui était visible en H.264 via le code HTML5 ;
- Le player vidéo de Canal Plus ne permet pas les « embeds ». Ceux qui veulent reprendre son contenu dans un billet de blog ou dans un article de presse, pour le commenter, doivent donc exiger de leurs lecteurs qu’ils aillent sur le site de Canal+. C’est sans doute très bien pour cette dernière, mais que serait la culture s’il fallait à chaque fois renvoyer à un livre plutôt que d’en citer deux phrases ? Sur le web les contenus peuvent être copiés-collés, ou au pire « embeddés », et vouloir remettre ces pratiques en cause ne profite à personne. Pas même à Canal+ qui perd sans doute beaucoup de visionnages de ses vidéos, et son image.
- Si un internaute souhaite faire un montage des propos d’Eric Besson, pour les intégrer à une vidéo plus longue, façon « Grand Journal », doit-il interrompre son montage pour renvoyer au site de Canal+ à chaque séquence ?
- Plus fondamentalement, un droit d’auteur qui permet à l’ayant droit d’interdire la diffusion de 47 secondes d’émission n’est-il pas un droit écrasant, qui perd toute légitimité et entretient la rébellion à son endroit ?
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