La Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des droits sur Internet (Hadopi) a publié le mois dernier son deuxième projet de spécifications fonctionnelles des moyens de sécurisation. Le texte doit aboutir à terme à la labellisation par l’Hadopi des logiciels et des services de filtrage conformes à ses spécifications, que les abonnés à internet seront fortement incités à installer. La loi Hadopi punit en effet le fait pour le titulaire de l’accès à internet de ne pas avoir mis en place de moyen permettant « de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de (piratage d’œuvres protégées)« .
La publication du nouveau cahier des charges préparé par le professeur Michel Riguidel avait fait l’objet d’une consultation publique achevée le 24 mai. Sans grand succès. Selon nos informations, seules trois réponses ont été reçues par l’Hadopi pendant les 40 jours de consultation publique. Le projet laisse presque totalement indifférent, alors-même qu’il a été largement débattu et commenté lors de sa publication.
Il y a plusieurs manières d’interpréter ce manque d’intérêt. Soit se dire que le projet est tellement parfait et consensuel qu’il ne suscite aucune réaction. Nous en doutons. Soit se dire que le projet est tellement farfelu et inapplicable que personne ne voit l’intérêt d’y répondre. C’est une possibilité. Soit se dire que personne ne croit l’Hadopi capable de modifier radicalement son projet. Ce qui serait réaliste. Soit se dire enfin que sur Internet, les réponses à une consultation publique ne se font pas dans l’intimité de l’e-mail privé échangé avec une autorité administrative, mais bien publiquement (et plus naturellement) sur les sites internet. A charge pour l’autorité de lire ce qui se dit et de ne pas l’ignorer sous prétexte qu’elle n’a pas eu de réponses officielles, ou très peu.
Dans cette deuxième version, selon nous inacceptable, l’Hadopi ouvre grand la porte au filtrage au coeur des box ADSL, via des services proposés par les FAI, et détaille une mécanique qui marie la « sécurisation » avec une forte intrusion dans la vie privée des internautes. Si l’abonné désire avoir les moyens de prouver sa bonne foi devant les tribunaux pour se défendre en cas de poursuites, il doit accepter que toutes ses activités qui sortent du cadre strict de la normalité définie par l’Hadopi soient notées dans un journal. Y compris les URL des sites qu’il a visitées, les fichiers qu’il a téléchargés, les protocoles et ports qu’il a utilisés, etc. L’abonné a théoriquement le choix du niveau de sécurité souhaité, et donc du niveau d’atteinte à la vie privée qu’il accepte de subir, mais ce choix sera contraint par le fait que la loi oblige à installer les moyens de sécurisation « avec diligence ».
Nous ne sommes pas loin avec ce projet du modèle turc, qui prévoit qu’à partir du 22 août, les abonnés à internet devront tous choisir entre quatre niveaux de filtrage : famille, enfants, domestique et standard. Les seules véritables différences étant qu’en France l’Hadopi sert d’incitation, alors qu’en Turquie la loi crée une obligation. Et qu’en Turquie la liste des sites interdits est plus large que le piratage. Mais l’Hadopi a déjà prévenu que la « sécurisation » pourrait aussi aller plus loin que la simple protection des droits des créateurs. Les projets de fusion de l’Hadopi et du CSA, murmurés ci et là, jusque dans un rapport officiel, ne feront qu’y contribuer.
Pour le moment, nous ne connaissons pas l’identité des auteurs des trois réponses reçues par l’Hadopi. On ne sait pas non plus si leurs réponses seront rendues publiques. Dans la première version du projet publiée l’été dernier, une lettre signée de la présidente Marie-Françoise Marais prévenait en préambule que « dans un objectif de transparence, la Haute Autorité publiera les contributions reçues« . Elles ne l’ont jamais été. Et cette promesse a disparu de la deuxième version publiée au mois d’avril.
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