C’est une application qui est passée inaperçue lors de sa sortie, mais qui révèle aujourd’hui toutes les limites du système de contrôle et de validation mis en place par Apple pour l’App Store. Depuis le 09 août, la firme américaine a autorisé la publication d’une application baptisée « Juif ou pas juif ?« . Celle-ci propose de recenser toutes les personnalités, françaises et étrangères, liées au judaïsme.
Une application « pour se distraire »
Vendue 0,79 euros, l’application se présente comme une sorte de catalogue où toute personne publique « juive (de par leur mère) » ou « ‘à moitié juive’ (de par leur père) » sera recensée. Cinéma, musique, business, prix Nobel, presse, politique, science, sport… aucun domaine ne sera épargné pas plus que les personnes ne souhaitant pas étaler leur foi sur la place publique.
Qu’importe, puisque « le but de cette application est uniquement de distraire. Rien de plus« . Dans une tentative maladroite de déminer le terrain, l’auteur de l’application assure qu’il n’est pas question de déterminer la supériorité d’une « race » par rapport à une autre. Une explication d’autant plus maladroite que l’auteur confond ici une religion avec le concept de race entre humains.
Non, « la seule ‘leçon’ à retenir est qu’avec beaucoup de travail, les juifs cités, souvent descendants de familles d’immigrés, ont réussi à atteindre une certaine reconnaissance« .
5 ans de prison et 300 000 euros d’amende
Au regard des objectifs poursuivis, l’application ne manquera pas de faire couler beaucoup d’encre. Et c’est tant mieux. Comme l’a rappelé l’avocat Maître Eolas sur Twitter, la loi ne plaisante pas sur ce type d’initiative. L’article 226-19 du Code pénal expose ainsi que les révélations sans le consentement express des intéressés peut entraîner une sanction de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.
Cela concerne « le fait, hors les cas prévus par la loi, de remettre ou de conserver en mémoire informatisée, […] des données à caractère personnel qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes ou qui sont relatives à la santé ou à l’orientation sexuelle de celles-ci« .
Dans cette affaire, l’auteur de l’application n’est pas l’unique responsable. En effet, et c’est là toutes les limites du système imaginé par Apple, en choisissant d’effectuer un contrôle a priori des applications destinées à l’App Store, la firme américaine a accepté mécaniquement d’être aussi responsable des contenus publiés sur sa boutique en ligne. Donc d’être responsable de « Juif ou pas juif ».
La responsabilité d’Apple comme éditeur
Au regard de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), Apple apparaît ici comme un éditeur et non comme un hébergeur. L’entreprise est donc soumise au régime de responsabilité des éditeurs et s’expose ainsi à des poursuites pénales motivées par l’article L226-19 du Code pénal. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt rendu en début d’année.
La Cour de cassation avait rappelé que l’hébergeur ne choisit pas les contenus qu’il héberge et ne peut donc pas être tenu civilement ou pénalement responsable, sauf s’il a connaissance d’activités ou d’informations manifestement illicites et qu’il n’agit pas promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible. Apple, qui effectue un contrôle a priori des applications, ne peut pas invoquer le statut d’hébergeur.
Dès lors, non seulement Apple se place dans une situation juridique périlleuse, mais en plus l’entreprise va une nouvelle fois se retrouver dans une position inconfortable puisqu’elle va devoir très certainement devoir s’expliquer sur ses choix. Il y a en effet de quoi s’étonner : Apple censure parfois certaines applications, franchement futiles, mais laisse passer des logiciels beaucoup plus controversés.
À présent, on peut imaginer que le bruit médiatique va pousser Apple à agir promptement pour retirer l’application. Par le passé, la firme de Cupertino avait plié sous la pression d’une pétition réclamant le retrait d’une application capable soi-disant de « guérir de l’homosexualité« . Plus récemment, c’est le gouvernement israélien lui-même qui avait demandé à l’entreprise américaine de supprimer une application appelant à une nouvelle intifada.
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