Il ne fait mystère pour aucun lecteur de Numerama que nous n’apprécions pas particulièrement la loi Hadopi et encore moins la manière dont la Haute Autorité a mis en œuvre la riposte graduée : en forçant les textes pour envoyer ses premiers avertissements sans attendre la labellisation de moyens de sécurisation, en faisant dire à la jurisprudence ce qu’elle ne dit pas, en ne procédant pas dès le premier jour à un audit des méthodes de collecte des adresses IP pour certifier de leur validité, en refusant de transmettre leurs PV aux abonnés avertis, en justifiant ces refus par une explication fumeuse, etc., etc.
L’Hadopi est devenue, comme on le pressentait, une machine à envoyer des dizaines de milliers de mails par jour, avec pour principal objectif de faire peur aux internautes pour les inciter à installer des mesures de « sécurisation » qui seront autant d’obstacles à leur liberté de communication.
Néanmoins, par l’effet des circonstances, l’Hadopi pourrait au moins temporairement se transformer en alliée des internautes et de leur liberté, P2P mis à part.
La raison tient en trois lettres : CSA.
En coulisses, l’Hadopi et le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) se livrent en effet une guerre intestine pour savoir qui sera demain le régulateur du net. Alors qu’il est question que les deux instances fusionnent à terme, ce qui reviendrait en fait à dissoudre l’Hadopi au sein du CSA, la Haute Autorité a choisi d’adopter une position de bouclier face au glaive du régulateur historique. C’est peut-être une conviction, mais c’est aussi un calcul politique. Plus elle se montre en opposition avec le CSA sur les méthodes de régulation, plus l’Hadopi a des chances d’éviter une fusion qui semblerait contre-nature.
Un CSA favorable au filtrage par défaut des sites non labellisés…
Le CSA a déjà avancé ses pions pour réguler Internet en expliquant dans son dernier rapport annuel que « tout autant que l’évolution technologique, c’est l’évolution de la demande sociale qui guide les progrès de la régulation« . Le Conseil demande désormais à réguler tout ce qui est susceptible d’être vu sur un téléviseur, et plus uniquement ce qui passe à la télévision ou à la radio. Or les téléviseurs connectés se développant à grand pas, le CSA y voit là l’occasion rêvée de devenir le régulateur du net. Quitte à marcher sur les plates bandes de l’Hadopi, en écrivant que « internet donne au public l’illusion de la gratuité, et il faut dès à présent trouver des modes de rémunération des contenus efficaces« .
Dans sa quête d’extension de pouvoirs, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel prône une ligne dure. « La demande de régulation des contenus audiovisuels en ligne ne cesse de progresser au nom de la protection du jeune public et de la déontologie« , écrit-il, ajoutant qu’il il faut « construire une régulation qui parte davantage des attentes du public« . En début d’année, son président Michel Boyon s’était dit favorable au fait d’imposer aux logiciels de contrôle parental qu’ils bloquent tous les sites que le CSA n’aurait pas labellisés, et l’on voit actuellement se multiplier les appels à l’activation par défaut d’un contrôle parental chez les FAI. Après le député UMP Patrice Calméjane, puis le centriste Rudy Salles, c’est aujourd’hui un autre UMP, Philippe Meunier, qui fait la même proposition.
… contre une Hadopi plus prudente
Or sur ce point, l’Hadopi a multiplié les appels à la prudence ces derniers mois. Dans son propre rapport annuel, où l’on voit déjà s’inscrire en filigrane l’affrontement avec le CSA (« sur la durée, seule une institution dédiée peut conduire un tel travail »…), la présidente Marie Françoise-Marais remarque elle aussi dans son éditorial « l’émergence des TV connectées » qui « montre bien à quel point ces questions dépassent désormais largement le seul ordinateur de l’abonné« . Mais c’est pour mieux dire immédiatement dans la phrase suivante que « nous resterons très vigilants quant aux questions de filtrage ou de blocage tant ces sujets soulèvent de questions en termes de libertés publiques« .
A plusieurs reprises l’Hadopi s’est opposée au filtrage par DPI, en se distinguant même de la voix officielle de la France. « La plus grande prudence s’impose s’agissant de l’usage de techniques de reconnaissance de contenus et de filtrage qui ne seraient pas imposées par des contraintes techniques de gestion des réseaux« , conseillait-elle à la Commission Européenne, en avril 2011. Elle n’a pas même hésité à taper sur les doigts des ayants droit qui mènent des expérimentations sans la consulter, alors qu’ils n’en ont pourtant pas l’obligation légale.
La neutralité du net : autre sujet de friction
Sur la neutralité du net, le CSA a aussi une position plus dangereuse que celle de l’Hadopi, puisqu’il est prêt à la sacrifier pour privilégier les services audiovisuels. Dans son rapport annuel, il a fait savoir que « le Conseil n’est pas opposé à rendre les » flux gérés » prioritaires, dans la mesure où les services audiovisuels bénéficient alors d’une meilleure exposition et les téléspectateurs, d’une plus grande qualité« . L’an dernier, il avait dit qu’il pourrait ne pas s’opposer au fait de donner la priorité « à la diffusion de contenus audiovisuels légaux de qualité sur Internet« , ce qui impose de séparer le bon grain de l’ivraie.
Or là aussi, l’Hadopi avance avec plus de prudence. Si les spécifications fonctionnelles des moyens de sécurisation ne sont toujours pas publiées et relèvent d’un casse-tête quasi insoluble pour l’Hadopi, c’est en partie parce qu’il a été imposé dès le départ un respect de la neutralité des réseaux. Sur le filtrage, elle dit vouloir « vérifier que les expérimentations conduites ne portent pas atteinte à la vie privée des utilisateurs et au principe de la neutralité du net« . A chaque fois qu’elle en a eu l’occasion, l’Hadopi a répété son hostilité aux méthodes intrustives.
On a vu également le CSA plaider pour une atteinte à la neutralité des moteurs de recherche, en faveur des contenus audiovisuels français qu’il voudrait privilégier. L’Hadopi, pour sa part, n’est pas favorable au fait d’exiger des Google et autres Bing ou Yahoo qu’ils favorisent y compris les plateformes bénéficiant de son label PUR.
Aussi, il ne faut certainement pas être naïf, et garder à l’esprit que le million de mails déjà envoyé aux abonnés à Internet en France ne vise qu’à les pousser à s’auto-filtrer. Il faut aussi avoir la plus grande vigilance sur les études que mène l’Hadopi sur les plateformes de streaming et de téléchargement direct, qui pourraient aboutir à une volonté de blocage de certaines d’entre elles. Mais il faut aussi savoir reconnaître à l’Hadopi un certain souci de l’équilibre entre sa mission de protection des droits, et le respect de la vie privée et de la liberté de communication des internautes. Ce souci est-il pérenne ? Est-il opportuniste ou réellement ancré dans ses valeurs ? Est-il feint pour mieux endormir une opposition qui s’adoucit de mois en mois, avant de relancer les hostilités ? Seul l’avenir le dira. Mais dans l’attente, il nous paraît que s’il fallait choisir (notez le « si ») entre le CSA et l’Hadopi pour réguler le net, mieux vaudrait opter pour l’institution la plus récente.
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