A la fin du mois dernier, nous analysions la proposition de loi déposée au Sénat « relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle« , en expliquant que derrière sa grande complexité se cachait un texte susceptible de léser en premier lieu les auteurs. Il prévoit en effet d’imposer une gestion collective (façon Sacem) pour l’exploitation numérique des livres publiés avant le 31 décembre 2000 qui sont devenus introuvables dans le commerce, à charge pour les auteurs de faire obstacle à cette gestion collective dans les courts délais impartis. A défaut, l’éditeur qui n’avait plus de contrat avec l’auteur pourra retrouver la gestion exclusive des droits sur le livre.
La semaine dernière, le texte est aussi apparu à l’Assemblée Nationale, preuve qu’il y a une véritable intention politique de le faire adopter. Ce que nous confirme une source proche du dossier, qui pointe du doigt la méthode. « Tout cela a été conçu dans le secret, au point que même les membres du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA), missionnés pour travailler sur la proposition de directive européenne sur les œuvres orphelines, n’ont pas eu communication de ces travaux préparatoires … à l’exception bien sûr de ceux qui en étaient partie prenante, comme la SGDL (auteurs) et le SNE (editeurs), ainsi que probablement la SOFIA et quelques autres« , nous confie-t-elle.
Dans un communiqué, l’Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres (AFUL) affirme également que « ce projet a été préparé de longue date » et dans le secret « par le ministère de la Culture » avec quelques organisations d’ayants droit. Or, « ces organisations n’avaient pas de mots assez durs pour fustiger l’accord Google, qui » n'[était] pas conforme au droit de la propriété littéraire et artistique » mais qui le devient subitement quand les mêmes acteurs font du Google sans Google, en empiétant encore plus sur les droits exclusifs des auteurs« .
Ce parallèle avec l’accord Google – que Frédéric Mitterrnad avait fustigé, est également transversal dans une longue critique acerbe et très pertinente publiée par Lionel Maurel, conserveur des bibliothèques à la Bibliothèque Nationale de France. « Je trouve assez croustillant qu’un système rejeté par la justice américaine car trop attentatoire à l’esprit du droit d’auteur soit implanté par la loi au pays de Beaumarchais, nonobstant le fait qu’il provoque un renversement complet du principe de l’autorisation préalable« , écrit-il. « Les garanties apportées quant aux respect des droits des auteurs sont plus faibles dans le dispositif français qu’elles ne l’étaient dans le Règlement Google« .
Lionel Maurel (aka @Calimaq) reproche notamment au texte de viser sans le dire les « œuvres orphelines » (celles dont on ne sait pas contacter les ayants droit pour les rémunérer) alors que « par définition pour ces œuvres orphelines, les titulaires de droits ne peuvent se manifester pour réclamer le retrait de leurs œuvres du système« . Elles représenteraient plus de la moitié des 500 000 livres indisponibles concernés par la proposition de loi.
Or cette confusion entretenue sur les « livres indisponibles » qui cachent les œuvres orphelines n’est pas innocente. En effet, « un projet de directive européenne est en préparation, qui entendait donner aux bibliothèques et autres institutions culturelles la possibilité de numériser et de diffuser des œuvres orphelines, dans des conditions relativement ouvertes« . En substance, la directrive permettrait aux établissements de mettre à disposition des copies des œuvres orphelines sans avoir à payer de droits, pour des motifs d’intérêt général culturel. Mais si elle est adoptée, la proposition de loi fera qu’il n’y aura plus concrètement d’œuvres orphelines dont l’exploitation pourra être réalisée gratuitement par les bibliothèques, puisqu’elles seront toutes gérées par une société de gestion collective ; ce qui paralyse tout l’intérêt de la directive en France.
Pour Lionel Maurel, « il n »est pas abusif de dire que la proposition de loi française constitue une véritable manœuvre de contournement au niveau national d’un dispositif européen« .
Par ailleurs, prévient l’AFUL, « présumer que les auteurs des œuvres indisponibles, donc ayant un faible succès commercial, souhaitent être diffusés numériquement de façon lucrative plutôt que gratuitement est manifestement abusif« .
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