Il n’y aura pas de création d’un statut spécial du jeu vidéo en France. En mai dernier, le premier ministre avait demandé au député Patrice Martin-Lalande (UMP) de mener une mission pour « formuler des propositions permettant de sécuriser le cadre juridique du jeu vidéo« , afin d’éclaircir la question de propriété des droits d’auteur sur les jeux vidéo. Dans son rapport, remis mercredi dernier, le député conclut que la création d’un tel statut serait presque impossible, et minimise l’importance concrète de la difficulté posée par l’absence d’un tel régime.
Actuellement, faute de statut spécifique dans le code de la propriété intellectuelle, le régime juridique applicable aux jeux vidéo fait débat. Alors que dans un premier temps la jurisprudence avait assimilé le jeu vidéo au logiciel, la cour de cassation a prévenu dans son arrêt « Cryo » du 25 juin 2009 que le jeu vidéo « est une œuvre complexe qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l’importance de celle-ci« . Pour la haute juridiction, « chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature« . En clair, une partie seulement du jeu vidéo est un logiciel, et toute l’autre partie est une association d’œuvres de toutes natures, tantôt graphiques, tantôt musicales, tantôt scénaristiques…
Or si la loi prévoit que les développeurs de logiciels cèdent leurs droits à l’entreprise par l’effet du contrat du travail, ça n’est pas le cas en France pour les autres créations. Pire, la loi interdit même toute cession globale des droits, notamment au regard des droits moraux, et elle oblige en principe à rémunérer les auteurs principaux de façon proportionnelle, ce qui revient à les intéresser au chiffre d’affaires généré par chaque titre. Une situation que veulent évidemment éviter les studios français, qui se contentent pour la plupart de verser des salaires et des primes, et qui utilisent un régime juridique (celui de l’œuvre collective) parfois contestable, et surtout inapplicable aux suites ou adaptations.
Cette ambiguité est décriée par les studios de développement établis en France, qui se plaignent régulièrement que les règles du droit d’auteur à la française ne permettent pas de sécuriser la transmission des droits de leurs salariés vers l’entreprise, alors que le droit anglo-saxon prévoit une transmission quasi automatique des droits du créateur salarié vers l’employeur. Cette difficulté serait à l’origine de relations parfois compliquées avec les éditeurs étrangers (Electronic Arts, Sony, Nintendo, Microsoft…) qui ne veulent pas prendre le risque de commercialiser des jeux dont tous les droits ne sont pas clairement définis. Elle aboutit aussi parfois à des situations contre-productives ; comme par exemple lorsque les sommes exigées par la Sacem pour l’exploitation d’une composition musicale française incite les studios à fuire les compositeurs français ou à rivaliser d’artifices juridiques risqués pour contourner la loi.
Le droit d’auteur dans les jeux vidéo : un non sujet ?
Cependant, « si les studios français se voient opposer des refus de la part des éditeurs étrangers, ce ne sera pas au titre du droit d’auteur mais parce que ces derniers n’auront pas été emballés par le projet de jeu vidéo présenté« , nuance sèchement Patrice Martin-Lalande. Le député minimise l’importance des difficultés économiques liées au droit d’auteur, et rejette l’idée de se rapprocher du copyright anglosaxon, ce qui serait perçu comme « un signal négatif fragilisant la défense du régime français de droit d’auteur« .
« Les États producteurs de jeux vidéo ne rencontrent donc pas de difficultés concernant le cadre juridique du jeu vidéo en droit d’auteur. Le problème auquel ils doivent faire face en matière de jeux vidéo et de droit d’auteur a trait exclusivement au piratage des jeux« , assure Martin-Lalande.
Même pour les salariés employés par les studios, le droit d’auteur ne serait pas vraiment un sujet de préoccupation. Selon le rapporteur, qui livre une vision soixante-huitarde du travail dans le jeu vidéo, « l’absence de revendication de la qualité d’auteur par les créateurs de jeux vidéo trouve a priori une explication dans le lien qui les unit à leur studio de développement« . En effet, pousuit-t-il, « les auteurs de jeux vidéo se sentent intrinsèquement liés à leur studio, ainsi qu’à l’équipe permanente qui le compose car ils ne pourraient pas être des auteurs sans eux. Ainsi, ils ne revendiquent pas la qualité d’auteur car ils ne veulent pas pénaliser financièrement leur studio de développement par le poids d’une rémunération proportionnelle. En outre, ils ne veulent pas que s’instaure une rupture d’égalité entre les mêmes membres d’une équipe, bien que certains ne soient que des exécutants dans la création« .
Un cadre juridique trop difficile à délimiter
Au final, le député rejette l’idée de créer un cadre spécifique, notamment parce qu’il serait trop complexe de définir ce qu’est un jeu vidéo. Est-ce une œuvre audiovisuelle assortie d’une partie logicielle ? Trop vague. Une œuvre interactive ? Trop vaste. Une œuvre interactive avec un caractère ludique ? Excluerait injustement les serious games dont le développement prend de l’ampleur.
Par ailleurs, il faudrait aussi savoir déterminer au sein du studio de développement quels sont les auteurs principaux candidats à la rémunération proportionnelle, et quels sont les simples exécutants payés au forfait. Or il n’existe aucune typologie des métiers du jeu vidéo, et aucune convention collective qui définit les postes dans le secteur.
Il plaide donc pour un simple « aménagement » du droit d’auteur, sans évoquer la moindre piste concrète. L’idée est renvoyée au dialogue interprofessionnel, sous l’égide du CNC.
Dépassant le cadre de sa lettre de mission, Patrice Martin-Lalande termine son exposé par une série de propositions concrètes, toutes de nature fiscales et financières, pour faciliter le financement du jeu vidéo en France.
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