PayPal a décidé d’imposer aux écrivains et aux éditeurs ce qu’ils avaient le droit d’écrire ou de publier, en leur faisant savoir que certaines formes de littératures n’avaient plus droit de cité sur les plateformes de livres électroniques qui utilisent ses services de paiement. Une nouvelle page dans l’histoire de la censure.

Les grands censeurs d’aujourd’hui ne sont plus les gouvernements ; ce sont les sociétés privées. PayPal, qui est au centre d’un très grand nombre de transactions sur Internet, a pris la détestable initiative de regarder ce que vendent ses clients et de leur imposer de retirer certains produits, non pas parce qu’ils sont illégaux au regard de la loi, mais simplement parce qu’il les considère immoraux au regard de ses propres critères.

La plateforme Smashwords, qui publie des livres numériques d’auteurs et éditeurs indépendants, a en effet révélé qu’elle a reçu un ultimatum de la part de PayPal. Elle doit cesser de publier des livres décrivant certains types de scènes érotiques, ou devra se passer totalement des services de PayPal pour encaisser les paiements des consommateurs. D’autres sites et éditeurs ont reçu la même menace de la part du service de paiement en ligne, qui s’est imposé comme une plateforme difficilement contournable au fil des années.

PayPal refuse de traiter des paiements concernant des œuvres qui contiendraient des narrations de viols, d’incestes, de zoophilie, ou de scènes de sexe impliquant des enfants, que ce soit entre eux ou avec des adultes.

Appliquées dans le commerce traditionnel, ces règles imposeraient que des œuvres comme celles du Marquis de Sade (dont nous avions déjà parlé à propos de la censure dont il fait l’objet à la radio), Lolita de Nobokov, Mineur de Yann Quéffélec, ou même La Passion dans le Désert de Balzac (qui raconte une relation entre un soldat et une panthère) soient retirées des rayons des libraires, sous peine de ne plus pouvoir encaisser de paiements pour la vente de la Bible. Laquelle, d’ailleurs, décrit elle-même des situations d’incestes. Quant aux scènes de viol, elle sont innombrables dans la littérature, qui sert aussi de catharsis pour les écrivains et les lecteurs.

L’initiative de PayPal est beaucoup plus grave que celle d’Apple, qui lui aussi s’est fait le garant de la morale publique dans diverses censures sur iTunes et son App Store. Contrairement à PayPal, qui n’est qu’un intermédiaire bancaire, Apple est lui-même le vendeur des contenus ; il est donc légitime qu’Apple choisisse ce qu’il accepte de vendre pour soigner son image de marque, même si nous critiquons régulièrement ses choix et la pureté morale qu’il tente d’imposer. Mais PayPal ne défend aucune image de marque en se faisant censeur, puisque personne n’imagine que PayPal cautionne le contenu d’un livre simplement parce qu’il a permis au vendeur d’être payé. PayPal censure par principe.

On remarque au passage qu’eBay, la maison-mère de PayPal, ne s’applique pas à elle-même les mêmes règles. Il est facile de trouver sur eBay des livres du Marquis de Sade, ou certains des écrits très polémiques de Gabriel Matzneff, dont son essai Les Moins de Seize Ans :

Plus d’une dizaine d’organisations américaines se sont regroupées dans une lettre commune pour demander à PayPal d’abandonner cette nouvelle politique, dont la Guilde des Auteurs, l’Association des Editeurs Américains, ou l’EFF. « Les fournisseurs de services financiers devraient être neutres à l’égard de l’expression en ligne légale« , écrivent-ils dans une lettre ouverte. « Internet est devenu un bien commun public international, comme une énorme place de village, où les idées peuvent être diffusées, échangées et critiquées librement. Ceci changera si des sociétés privées, qui n’ont aucune obligation légale de respecter le droit à la liberté d’expression, sont en capacité d’utiliser leur influence économique pour dicter ce que les gens devraient livre, écrire et penser« .

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