Est-ce une manière d'annoncer que la neutralité du net devra faire l'objet d'entorses pour favoriser le "redressement productif" français ? Dans une conférence à Montpellier, la ministre Fleur Pellerin a estimé que la neutralité du net était un concept américain qui favorisait les géants du web américains. Des mots qui résonnent avec la position du CSA, appelé à fusionner avec le régulateur des télécoms.

A l'occasion des Rencontres de Pétrarque à Montpellier, la ministre déléguée à l'économie numérique Fleur Pellerin a provoqué de vives réactions ce week-end en affirmant que "la neutralité du net est un concept américain qui a tendance à favoriser les intérêts économiques de Google, Apple et consorts".

L'activiste Fabrice Epelboin, qui a assisté vendredi aux premières loges à la scène – en tant qu'invité à la même table-ronde que Mme Pellerin, raconte les faits sur Reflets. La ministre vient d'être interrogée par le journaliste Emmanuel Laurentin de France Culture, sur la neutralité du net :

Fleur commence par se tromper totalement dans la définition (elle a dû mal réviser son sujet ou se tromper dans ses fiches), devant un Jean-Baptiste Soufron (récemment nominé à la tête d’un CNNum déserté), qui, assis au premier rang à 10 mètres de là manque de s’étouffer, tout comme moi. Dominique Cardon, qui est assis à coté de la ministre, amorce un facepalm embarrassé, avant que la ministre n’embraye sur une virulente mais courte diatribe, arguant du fait que tout cela n’est qu’un concept américain fait pour défendre les intérêts de Google, Apple et consort… et ne quitte la table pour aller prendre son train.

(…)

Le week-end qui suivra sera ponctué de longs échanges de mails et de coups de téléphones avec une multitude de responsables politiques et personnalités du monde d’Internet (aucun journaliste cependant) venu s’enquérir de la réalité de ces propos (qui seront en ligne fin août sur Franceculture.fr) et venus partager leurs sentiments sur la façon de décrypter ce qui, aux oreilles de tous les spécialistes d’Internet, est un amas d’absurdités.

Au delà de la méconnaissance éventuelle de ses fiches, l'absence de solidité et d'exactitude dans la définition de la neutralité du net (qui est tout bêtement le fait de traiter toute communication à égalité, quel que soit le contenu, le destinataire ou l'expéditeur) se manifeste par une trahison des influences idéologiques subies par Fleur Pellerin. Comme l'explique longuement et parfaitement Fabrice Epelboin, les propos de la ministre de l'économie numérique s'inscrivent dans un contexte qui n'est pas étranger à l'affirmation selon laquelle la neutralité du net profiterait aux entreprises américaines, et qu'il s'agirait d'un concept étranger aux valeurs françaises.

En effet, le CSA – dont Fleur Pellerin envisage la fusion avec l'Arcep – plaide depuis longtemps pour que la neutralité du net cède le pas à la protection des contenus et de la fameuse "exception culturelle" qui justifie tous les excès. On "ne pourra pas indéfiniment faire coexister un secteur régulé, celui de l'audiovisuel, et un secteur non régulé, celui d'Internet", a plaidé le président du CSA Michel Boyon, dans une récente interview. L'idée soutenue par le ministère de la Culture et par le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel est qu'il faut que les tuyaux soient mis au service des contenus et de leur diffusion régulée, et non que les contenus s'adaptent à la neutralité des tuyaux.

Ce concept permet toutes formes de justifications d'atteintes à la neutralité du net, comme la nécessité de protéger les droits d'auteur, de favoriser les services de télévision connectée gérés par les chaînes TV elles-mêmes, ou de taxer les entreprises étrangères qui utilisent les réseaux français pour diffuser leurs services. Par sa seule phrase, Fleur Pellerin paraît s'inscrire dans cette idée, très dangereuse pour l'avenir d'Internet qui ne serait pas développé à ce point sans la neutralité.

Sur Twitter, Fleur Pellerin a tenté de désamorcer la polémique, en pointant vers une tribune publiée dans  01Net lors de la campagne électorale, et en affirmant que sa ligne reste "inchangée". "La neutralité de l’acheminement des données garantit la liberté d’expression ; la liberté d’usage de tout ce à quoi on accède légalement ; et la liberté d’innover. Ces libertés sont essentielles dans une société démocratique, ouverte et tournée vers l’avenir", écrivait-elle.

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