Faut-il se satisfaire que des membres du collectif Anonymous court-circuitent la justice d’un État de droit pour venger la mort d’une adolescente de quinze ans, qui affirmait être victime depuis plusieurs années de harcèlement ? C’est la question qui est posée en creux dans l’affaire Amanda Todd, une lycéenne canadienne qui a mis fin à ses jours le 10 octobre dernier, à son domicile.
Amanda Todd avait douze ans lorsque son calvaire a commencé. Sur un salon de discussion, elle croise un homme qui l’invite à se dévoiler devant la webcam – ce qu’elle finit par faire, en soulevant son t-shirt, dévoilant ainsi sa féminité. Son interlocuteur capture alors la scène et commence à la diffuser un peu partout sur la toile, en particulier auprès des amis de la jeune fille.
Victime de cyber-harcèlement, Amanda Todd doit alors changer plusieurs fois d’établissements scolaires. En vain. Son agresseur se met en tête de la traquer, répétant l’opération à chaque fois auprès de ses nouveaux amis en diffusant les captures d’écran. À force, Amanda Todd finit par traîner une sale réputation auprès des autres élèves, subissant parfois des agressions et des humiliations.
Début septembre, Amanda Todd publie une vidéo sur YouTube comme un naufragé lancerait une bouteille à la mer. Elle y raconte son histoire sur des petits morceaux de papier, sa dépression, sa consommation d’alcool et sa prise de drogue. Pour oublier. Pour échapper à l’enfer que lui fait vivre son bourreau. « Je n’ai personne. J’ai besoin de quelqu’un« , conclut-elle au bout de la vidéo.
La publication de la vidéo et la découverte du suicide provoquent évidemment une onde de choc au Canada. La disparition de la jeune femme a relancé le débat du harcèlement, en particulier sur le web. Les politiques proposent de légiférer sur le sujet, tandis que la justice se met en branle pour retrouver le harceleur de l’adolescente. De nombreux enquêteurs sont mobilisés sur ce dossier.
Mais le collectif Anonymous n’a manifestement pas envie d’attendre que soit châtié le bourreau d’Amanda. Des internautes se revendiquant de la mouvance décident de le traquer et finissent par trouver un nom. Un certain Kody M., un Canadien âgé de 32 ans. Ils dévoilent également son adresse postale, à Vancouver, et affirment qu’il a alimenté des sites pédo-pornographiques avec des contenus montrant Amanda.
L’intervention d’Anonymous soulève pourtant bien des questions. D’abord parce qu’elle expose un suspect à la vindicte populaire, alors que la présomption d’innocence devrait bénéficier à l’accusé. Noyés par le chagrin, ivres de colère, les proches d’Amanda pourraient bien chercher à s’en prendre à Kody M., alors même que sa culpabilité n’est pas établie avec certitude.
C’est à la justice de décider s’il faut condamner quelqu’un, indépendamment de toute considération morale. L’initiative des Anonymous illustre le risque de voir se constituer des milices privées, avec des internautes pensant sans doute agir pour le bien d’autrui, sans pour autant avoir les qualifications nécessaires et la formation indispensable pour se substituer aux services de police et à la justice.
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