La liberté d'expression est une liberté fondamentale garantie par la constitution, qui ne connaît que les limites fixées par la loi. Mais Fleur Pellerin, ministre de l'économie numérique, souhaite que l'exercice de cette liberté puisse être négocié avec une société privée.

Mise à jour : Alors que la polémique paraissait s'éteindre, 01net rapporte que Fleur Pellerin a renouvelé lors d'une visite de Twitter à la San Francisco son souhait de "trouver une solution négociée avec Twitter" pour "construire ensemble des règles et un référentiel de comportements".

Article du 9 janvier 2013 – 

La liberté d'expression est-elle négociable ? C'est ce que pense la ministre de l'économie numérique Fleur Pellerin, qui a fait savoir que le gouvernement souhaitait "négocier avec Twitter le fait de pouvoir retirer les contenus, les hashtags qui sont litigieux". Mme Pellerin prend ainsi la suite de la ministre des droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, qui avait appelé de ses voeux "la mise en place de procédures d'alerte et de sécurité" pour éviter que ne se reproduise sur Twitter la propagation de messages racistes ou homophobes. Le gouvernement est aussi en droite ligne avec le Parti Socialiste, qui à la mi-décembre avait demandé à Twitter de faire la police sur son réseau social.

Mais la liberté d'expression n'est pas une liberté négociable. Elle a bien sûr des bornes, mais elles sont fixées par la loi, pas par la négociation. Par le pouvoir législatif, pas par le pouvoir réglementaire.

Même si comme le dit Fleur Pellerin il existe une différence de culture entre les Etats-Unis et la France, il est un point commun entre les deux pays qu'il ne faut jamais perdre de vue : c'est toujours à la justice de dire si des propos qui ont été tenus doivent être condamnés. Empêcher par avance que des propos puissent être tenus, parce qu'ils contiendraient tel ou tel mot (en l'espèce un hashtag), c'est s'en remettre à la censure arbitraire, et non à la justice.

Un gouvernement n'a pas à demander au fournisseur d'un espace d'expression publique d'imposer ce qui a droit de cité, et de supprimer des propos qui seraient présumés "litigieux", et non jugés illégaux.

La censure, pire que le mal ?

Sur un plan plus pragmatique, on peut (et l'on doit) s'interroger sur le bien-fondé d'une censure des propos homophobes, racistes, xénophobes, anti-islamiques ou antisémites. Censurer l'expression d'une idée, aussi néfaste soit-elle, ce n'est pas la combattre, c'est uniquement la cacher. C'est prétendre qu'elle n'existe pas parce qu'elle ne doit pas exister. Et parce qu'on la cache, on s'interdit de la combattre, et d'en mesurer l'ampleur.

Il n'y avait pas Twitter en 1933 lorsque le régime nazi a adopté la première loi antisémite, et que le peuple allemand fut versé dans un discours nauséabond désignant les juifs comme responsables de tous les maux, relayé de foyers en foyers, de bouches à oreilles. Mais s'il y avait eu Twitter et plus globalement s'il y avait eu Internet, peut-être ceux qui relayaient ces messages de haine auraient pu lire des réponses et comprendre qu'ils faisaient fausse route, et le faire savoir autour d'eux. Si l'on avait tenté de censurer leurs messages antisémites à l'époque, peut-être auraient-ils eu le sentiment d'avoir raison, puisque l'on "cherche à cacher la vérité". On ne sait que trop bien que la haine se nourrit de la paranoïa, et la censure ne fait que la renforcer.

Enfin, lorsque l'entreprise américaine Twitter dit qu'elle doit d'abord en référer à un juge américain avant d'accepter de livrer l'identité d'auteurs de tweets antisémites à la France, elle a parfaitement raison de le faire. N'importe qui trouverait choquant qu'une entreprise française éditant un site internet accepte sans coup férir de livrer les données personnelles de ses utilisateurs à une justice étrangère. La situation sera sans nul doute différente lorsque Twitter aura officiellement des bureaux en France, mais pour le moment ce n'est pas le cas. 

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