En s'opposant à la vente de Dailymotion, Arnaud Montebourg sauvegarde la vision stratégique de l'Etat et ses intérêts culturels, évite à Dailymotion d'être cédé à une entreprise dont l'historique porte peu à l'optimisme, sans porter de coup définitif au développement américain du site de vidéos en ligne.

Haro sur Arnaud Montebourg. Le ministre du redressement productif, qui a admis mercredi être intervenu pour bloquer la vente de Dailymotion à Yahoo par Orange, paraît de plus en plus isolé au sein-même du gouvernement. Son protectionnisme passe mal. Alors qu'il a assuré que la décision avait été prise de concert avec Pierre Moscovici, le patron de Bercy a affirmé jeudi qu'il n'en était rien, créant un premier couac gouvernemental sur le sujet. De son côté, la ministre déléguée à l'économie numérique Fleur Pellerin, qui est suspectée d'entretenir des liens privilégiés avec Orange, a fait connaître sa désapprobation par l'intermédiaire de son entourage, faisant circuler l'idée qu'elle aurait "trouvé hallucinante l'attitude de l'ingérable Arnaud Montebourg" sur ce dossier. Hiérarchiquement, elle est pourtant sous les ordres de ce dernier, et n'a donc pas à le "gérer".

Quant au patron d'Orange Stéphane Richard, qui est aussi un opposant politique en qualité d'ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, il n'a pas caché non plus sa désapprobation. "Dailymotion est une filiale d’Orange, et non de l’État. C’est le groupe, sa direction et son conseil d’administration qui gèrent ce dossier", s'est-il agacé dans Les Echos. Il voit surtout une belle opération financière s'envoler.

Mais sur le fond, Arnaud Montebourg n'a pourtant pas tort de s'opposer à la prise de contrôle de Dailymotion par Yahoo (qui voulait racheter 75 % du site), et de préférer un partenariat à 50/50. Les raisons de l'opposition sont multiples. Tout d'abord, comme nous l'a rappelé une source proche du dossier, il était impensable que Bercy accepte une cession de Dailymotion alors que "le Fonds stratégique d'investissement est intervenu pour le sauver, et Dailymotion n'a été cédé à Orange que parce qu'il s'agissait d'une entreprise française que l'Etat contrôle toujours". Il n'était pas acceptable que Dailymotion passe du stade de l'investissement stratégique de l'Etat, à celui de simple opération financière par une entreprise en partie publique.

Par ailleurs, Dailymotion est le seul véritable fleuron industriel français en matière d'édition numérique. Il est impensable de le voir mourir ou être délaissé. Or laisser Yahoo prendre le contrôle de Dailymotion, c'est prendre le risque de le voir suivre la même trajectoire que beaucoup des acquisitions de Yahoo, que le géant américain a négligées. Geocities, Kelkoo, Del.icio.us, Webjay, Flickr, … le tableau de chasse de Yahoo regorge de services que la firme n'a pas su intégrer et faire prospérer. Maven Networks, qui était la dernière grosse acquisition de Yahoo en matière de vidéos en ligne, a fermé en 2009. Certes, depuis, Yahoo a changé de direction, et Dailymotion aurait été géré par Henrique De Castro, qui a été en charge du développement business de YouTube, et qui connaît donc bien ce type de plateformes. Mais l'état français peut-il prendre le risque de voir son seul fleuron être ainsi avalé par une entreprise à l'historique si peu flatteur en matière de valorisation des acquisitions ? D'autant que Yahoo lui-même est dans un état qui le met en situation d'être vendu, ce qui fait prendre un risque sur l'identité du véritable propriétaire futur de Dailymotion.

Or, Dailymotion n'est pas seulement une réussite industrielle. C'est aussi un actif culturel (au sens où il expose les contenus culturels) essentiel au moment du développement de la télévision connectée. Le laisser passer sous droit américain, c'est pour l'Etat le risque de ne plus pouvoir réguler les contenus dans une stratégie de transposition des règles d'exception culturelle, qui veulent que les diffuseurs privilégient pour partie des contenus français et européens, et/ou financent leur création. Le fait que Dailymotion soit français pèse lourd dans les discussions sur la régulation des plateformes vidéo. Le ministère de la Culture s'est fait très discret sur le dossier, mais il est certain que la perspective de voir Dailymotion partir aux Etats-Unis fait craindre une perte d'intérêts pour les contenus produits en France, et donc pour l'industrie créative française. 

Enfin, la vente de 75 % de Dailymotion est exclue, mais la perspective d'une cession partielle à un gros acteur américain reste d'actualité. Microsoft, qui ne possède pas de plateforme de vidéos concurrente de Youtube, pourrait être intéressé. Même s'il ne contrôle que 50 % des parts…

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