La ministre de la Culture Aurélie Filippetti a demandé au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) de lancer une étude sur le régime juridique des « oeuvres transformatives », qui empruntent des oeuvres existantes protégées par les droits d’auteur pour aboutir à de nouvelles créations.

Parmi les très nombreuses mesures du rapport Lescure figurait la proposition n°69, suggérant de faire « expertiser, sous l’égide du CSPLA, une extension de l’exception de citation, en ajoutant une finalité  « créative ou transformative », dans un cadre non commercial« . Le ministère de la Culture a entendu la proposition, puisque la ministre Aurélie Filippetti a rencontré mardi les membres du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA), et a « exprimé le souhait que le CSPLA lance une mission d’étude relative au statut juridique des œuvres dites transformatives, afin de mieux accompagner le développement de nouvelles pratiques artistiques à l’ère du numérique« .

Le ministère va même jusqu’à préciser que « cette mission pourrait être confiée à Valérie-Laure Benabou, professeur à l’Université de Versailles-Saint Quentin, membre du CSPLA au titre des personnalités qualifiées« . Si officiellement rien n’est lancé, le souhait est assez précis pour être suivi à la lettre dans les semaines qui viennent.

Concrètement, il s’agit de déterminer dans quelle mesure les internautes devraient être autorisés, ou non, à exploiter les oeuvres réalisées par d’autres pour réaliser leurs propres créations de types mashup (réunir des oeuvres sans les modifier), remixes (modifier une oeuvre originale pour en créer une nouvelle), etc. « Ces pratiques, symbole de la vitalité de la création à l’ère numérique, doivent être encouragées et sécurisées, dans un cadre qui respecte les droits des créateurs des œuvres adaptées sans entraver la création d’œuvres dérivées« , écrivait Pierre Lescure.

Un régime juridique très strict

Actuellement, le droit français n’autorise aucune souplesse en matière de citation d’oeuvres audiovisuelles, que la jurisprudence a quasiment exclue du champ du droit de citation prévu par le code de la propriété intellectuelle. Et quand bien même l’aurait-elle admis au delà des seules oeuvres littéraires, la loi est trop restrictive. Elle n’autorise les citations d’oeuvres de tiers que si c’est justifié par le caractère « critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées« . Or, comme le notait Lionel Maurel dans un article où il suggère des modifications législatives, « cette restriction téléologique empêche de citer dans un but créatif, ce qui est le propre justement de la pratique du mashup et du remix« .

Par ailleurs, d’autres problèmes juridiques se posent aux pratiques des remixes et mashup. Comme l’a montré l’affaire de la photo de Coluche, le droit moral de l’auteur s’oppose à toute modification ou toute intégration qui risquerait de dénaturer l’oeuvre première et/ou de porter atteinte à son honneur ou sa réputation. C’est une véritable épée de Damocles qui pèse sur tout créateur dont l’oeuvre entière pourrait être jugée illégale et détruite, s’il est jugé qu’il a abusivement modifié la création d’un tiers. 

C’est pourquoi la plupart des créateurs de mashups et de remixes agissent, soit dans l’illégalité totale, soit se soumettent (en particulier dans les grandes maisons de disques) aux départements juridiques, qui doivent « clearer » les droits de tous les emprunts artistiques avant de laisser une oeuvre vivre sa vie publique. C’est aussi pour cela que de nombreux services web suggèrent aux créateurs de placer leurs oeuvres sous des licences Creative Commons qui autorisent explicitement la modification de leurs productions, comme l’a fait par exemple YouTube pour enrichir son éditeur de vidéos

Le succès de ces licences pourrait paradoxalement être un échec pour la réforme des droits d’auteur. Elles pourraient en effet servir de prétexte au fait de ne pas assouplir les droits des créateurs de remixes et mashups, en disant que les auteurs qui souhaitent libérer les oeuvres dérivées peuvent le faire en optant pour des licences plus permissives que le régime légal.

L’idée d’étendre le régime légal par une nouvelle exception au droit d’auteur est déjà combattue par l’industrie culturelle, notamment par la Sacem. « S’agissant des pratiques transformatives, la perspective d’une nouvelle exception est préoccupante, car elle pourrait permettre aux internautes de s’approprier des créations préexistantes dans des conditions injustifiées, de les transformer, avant de les remettre en circulation et les exploiter« , a-t-elle fait savoir au ministère de la Culture. La Sacem est pour le droit le plus dur dans sa forme « par défaut », pour mieux ouvrir les droits (comprendre « monnayer ») par la voie contractuelle.

« L’objectif est d’arriver à sécuriser ces nouveaux usages »

Enfin, la question des remixes et des mashups se heurte de plus en plus, en pratique, à une impossibilité technique et/ou juridique de copie. Les oeuvres sont protégées par des mesures techniques (des DRM), qui empêchent leur téléchargement pour être réintégrées dans des logiciels de montage. Or même si l’on sait souvent comment détourner les mesures mises en place, la loi DADVSI interdit le contournement des verrous, et c’est désormais l’Hadopi qui est arbitre des DRM, au prix d’une procédure lourde et inadaptée.

Le chantier que le ministère de la Culture veut ouvrir est donc très riche, nécessaire, mais aussi redoutable. Il pourrait aboutir, non pas à assouplir les droits sans autre contreparties que la richesse artistique, mais plutôt à prendre en compte la réalité des pratiques pour mieux les encadrer, et exiger par exemple que toute « oeuvre transformative » génère des droits en faveur des oeuvres originelles, à travers une véritable « traçabilité » des oeuvres.

« L’objectif est de sécuriser le cadre juridique d’œuvres telles que le mash-up ou le remix, en plein essor aujourd’hui, qui renouvellent les processus créatifs, mais dont le statut juridique reste précaire« , nous assure le ministère de la Culture. « L’objectif est d’arriver à sécuriser ces nouveaux usages, tout en respectant bien entendu les droits des créateurs des œuvres réutilisées. Cela suppose une réflexion sur le droit de la propriété littéraire et artistique, d’où la sollicitation du CSPLA pour avancer sur ce sujet« .

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