Le Sénat a adopté mercredi en première lecture la proposition de loi "tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon", déposée par le sénateur socialiste Richard Yung qui ne s'embarrasse de considérations éthiques sur d'éventuels conflits d'intérêts. L'homme qui rédige la loi est en effet depuis juillet dernier le président du Comité national anti-contrefaçon (CNAC), qui rassemble non seulement des partenaires publics mais aussi voire surtout des partenaires privés directement intéressés par le renforcement des moyens de lutte contre la copie illicite de leurs produits.
Parmi les membres du CNAC figurent ainsi une cinquantaine de lobbys de professionnels. Tous les corps d'industrie y sont représentés, de la pharmacie aux voitures en passant par les écrivains, les éditeurs de logiciels, les professionnels de l'horlogerie, les fabricants de produits de beauté, etc., etc. Certains grandes entreprises comme Chanel, Bic, Lacoste, La Poste, Longchamp, L'Oréal, Nike, LVMH ou encore Philip Morris sont également membres à part entière de l'institution.
Or il figure dans ce projet de loi certaines dispositions très contestées, dont l'une est directement issue d'une mission confiée en 2009 par Bercy à l'ancien président du CNAC, Bernard Brochand, visant à impliquer les transporteurs dans la lutte contre la contrefaçon sur Internet. Il faut "associer les acteurs intermédiaires du commerce sur internet que sont les opérateurs postaux, de transport express et les organismes de paiement à distance, afin de rechercher avec eux des solutions concrètes pour endiguer les flux physiques de contrefaçons", expliquait Bercy.
Deux ans plus tard, la proposition de loi Yung adoptée par le Sénat contient un article 13 qui amende le code des douanes pour y insérer une disposition qui indique que "les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express transmettent à la direction générale des douanes et droits indirects les données dont ils disposent relatives à l'identification des marchandises, biens et objets acheminés, de leurs moyens de transport ainsi que des personnes concernées par leur acheminement". En clair, le fichier devra comprendre le nom et adresse des expéditeurs et destinataires, et le contenu du colis s'ils en ont connaissance.
Les envois "domestiques" exclus du fichage
Mais l'application risque de s'avérer délicate puisque les sénateurs, dans leur grande sagesse, ont tout de même interdit de ficher les données visées par l'article 8.I de la loi CNIL, c'est-à-dire les données qui "font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci".
En théorie, les transporteurs qui ont connaissance de la nature d'un objet transporté pourront donc le dire aux douanes s'il s'agit d'un tabouret ou d'un livre de cuisine, mais devront s'abstenir s'il s'agit d'un exemplaire du Coran, d'une poupée gonflable ou d'un manifeste sur l'anarchisme. En pratique, on voit mal comment une telle obligation pourrait être respectée.
Par ailleurs, les "envois domestiques", c'est-à-dire en principe ceux qui partent de France pour arriver en France, sont également exclus du fichier des douanes. Mais comme le note PC Inpact, une telle définition "pourrait poser des problèmes avec le principe de libre circulation des marchandises posés par les textes fondateurs de l'UE".
"Cet article améliore les contrôles sans gêner les expressistes (transport express, ndlr)", s'est félicité la ministre du commerce extérieur Nicole Bricq, lors de l'examen du texte au Sénat. "Il s'agit de traiter des données, de data meaning, selon la formule. Il n'est pas possible de faire intervenir l'autorité judiciaire dans ce traitement. Mais le texte apporte des garanties : les données seront celles dont disposent déjà les expressistes. Le décret en Conseil d'État, après avis de la Cnil, sera préparé en concertation avec les expressistes et La Poste ; le Parlement y sera associé".
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