En numérisant des centaines de milliers de livres, Google s'est offert une base de données sans précédent, qu'il permet d'exploiter de façon aussi originale qu'instructive avec Ngram Viewer. L'outil permet de rechercher des expressions dans tout le fonds numérisé de Google Books, en affinant par période (depuis le 16ème siècle jusqu'à nos jours) et par langue, et de générer des graphiques qui montrent la fréquence d'apparition de l'expression recherchée.
Il permet ainsi de voir comment la langue évolue, de constater la mort ou l'apparition de certains mots, mais aussi de voir comment les mots reflètent l'évolue de la société tout entière.
Voici ainsi quelques exemples trouvés par Numerama, à partir du fonds français (cliquez pour agrandir les graphiques). N'hésitez pas à partager avec nous vos propres trouvailles en commentaire.
1. Les "femmes" rejoignent les "hommes"
Le mot "hommes", largement dominant depuis le 17ème siècle, connaît depuis le 19ème siècle un effondrement, tandis que le mot "femmes" connaît une explosion très récente de popularité, depuis les années 1970. Une reconnaissance dans la littérature qui accompagne la montée du féminisme dans la société française. Sur toute la période, le mot "humains", censé englober les genres, connaît une croissance régulière, mais faible.
2. La "sécurité" rejoint la "liberté"
Il y a quelques semaines, nous écrivions qu'un vrai débat politique sur l'équilibre entre liberté et sécurité devait s'ouvrir, constatant que cette dernière prenait sans doute trop d'importance par rapport à la première. Or en étudiant l'évolution du vocabulaire, on se rend compte que cette constatation n'est que l'aboutissement d'un long processus. Depuis 400 ans, la "sécurité" n'a fait que prendre de l'ampleur alors que la "liberté" stagne, voire recule (sauf une envolée remarquable au moment de la Révolution Française). A ce rythme, on lira plus souvent "sécurité" que "liberté" d'ici la fin du siècle.
3. Toujours plus de "travail", de moins en moins de "plaisir" et de "bonheur"
Jusqu'au 19ème siècle, le mot "travail" n'était pas davantage écrit, voire moins, que les mots "plaisir" (dominant au 17ème) et "bonheur". Croissant jusqu'au 19ème siècle, le "bonheur" a ensuite chuté dans la littérature française jusqu'à nos jours, tandis que le "travail" a pris une importance considérable, aujourd'hui écrasante. Le résultat révélateur de la révolution industrielle et de ses effets, ou le simple témoin d'une évolution des centres de préoccupation des écrivains ?
4. Une "démocratie" sans "peuple"
C'est un paradoxe. Alors que l'on parle de plus en plus de "démocratie", dont le terme a fait sa réapparition peu avant la Révolution, le "peuple" qu'elle doit représenter est de moins en moins évoqué. Alors que le "peuple" était au coeur des livres des Lumières et des révolutionnaires, le terme connaît une décroissance impressionnante. C'est en réalité qu'il est désormais remplacé par le terme "population", dont il n'est pas certain qu'il ait la même connotation.
5. "Partir", mais partir où ?
L'on entend beaucoup parler d'exil ces derniers temps, mais la volonté de "partir" n'est peut-être pas nouvelle. Le mot connaît une ascension fulgurante depuis le 19ème siècle, alors que "rester" est d'une grande stabilité. Plus positifs dans leur destination, les mots "voyager" ou "visiter", qui avaient connu (surtout ce dernier) une grande popularité avant l'époque moderne, connaissent une utilisation relativement déclinante, malgré le développement très important des moyens de transport. Veut-on désormais "partir" pour échapper à quelque chose, alors que l'on voulait hier partir pour voyager et visiter d'autres mondes ?
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