En ayant fait bloquer à tort la page d'une fan pour une prétendue contrefaçon de marque, le producteur de la série télévisée Plus Belle La Vie offre une jurisprudence très explicite sur les dangers de l'incitation à la censure privée imposée par la loi aux hébergeurs et éditeurs de sites internet. Lorsque l'on se dispense de l'avis préalable d'un juge sur la légalité ou non d'un contenu, la correction postérieure n'intervient que très tard. Trop tard.

Il s'agit d'une affaire exemplaire, au sens propre du mot, tant elle illustre les risques démocratiques posés par la pression mise sur des sociétés privées, qui doivent se faire juge à la place du juge pour éviter d'engager leur propre responsabilité. Un risque encore accentué la semaine dernière par l'adoption à l'Assemblée Nationale de la loi anti-prostitution, qui ajoute une obligation faite aux hébergeurs de bloquer d'eux-mêmes les pages consacrées à la traite des êtres humains et au proxénétisme, avant-même que la justice ne qualifie juridiquement leur contenu. 

Dans un jugement du 28 novembre 2013, publié par Legalis, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné à Facebook de rétablir une page de fans de la série télévisée Plus Belle La Vie, qui avait été fermée à tort en février 2012 par Facebook, sur demande du producteur Telfrance Serie. La réparation, sauf appel qui allongerait encore le délai, interviendra donc près de deux ans après le blocage abusif.

En l'espèce, après avoir collaboré avec l'animatrice de la page créée en 2008, au point de lui fournir des lots à faire gagner aux fans dans des jeux-concours, le producteur de la série à succès de France 3 avait subitement changé de comportement et obtenu le blocage de la page au début de l'année 2012, en mettant la pression sur Facebook à travers la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN).

Telfrance Serie avait en effet indiqué au réseau social qu'il était le titulaire des marques commerciales "Plus Belle La Vie" et "PBLV", et que l'internaute n'avait donc pas le droit d'animer une page intitulée PBLV Marseille. Or, l'article 6 de la LCEN dispose que les hébergeurs, auxquels Facebook est assimilé, "ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées (…) si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible".

Pas de faute de Facebook, car pas vraiment de choix

A contrario, donc, Facebook pouvait voir sa responsabilité engagée s'il refusait de bloquer la page dont on lui soutenait mordicus qu'elle était constitutive de différentes infractions (contrefaçon de marques, parasitisme…). Par prudence, ne pouvant ou ne souhaitant se risquer à une analyse juridique sur le bien-fondé des arguments du producteur, ce qui est le travail d'un juge, Facebook a donc obtempéré et bloqué la page. Pire, il aurait fusionné la page amateur et ses quelques 600 000 fans avec la page officielle de Plus Belle La Vie, s'accaparant ainsi le travail bénévole de l'animatrice.

Dans son jugement, le TGI de Paris juge finalement, deux ans plus tard, qu'il n'y avait pas de contrefaçon de marque puisqu'il n'y avait aucune activité commerciale de la part de l'internaute, et qu'en plus, le producteur avait jusque là collaboré avec elle. Il constate donc que le blocage de la page était infondé et illégal. Cependant le TGI de Paris estime qu'aux yeux de Facebook, la demande de Telfrance Serie "pouvait apparaître fondée", et constate que le réseau social était tenu par la loi "d'intervenir rapidement". Il a donc exonéré Facebook de toute faute, et ordonné simplement qu'il rétablisse enfin la page et l'honneur de l'animatrice.

Quant à Telfrance Serie, le tribunal l'a condamné à verser à la plaignante 10 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral.

Dans cette affaire, la créatrice de la page censurée a eu le courage d'ester en justice, et de faire valoir ses droits à la liberté d'expression. Mais combien de pages censurées à tort ne seront jamais rétablies ? Puisse cette jurisprudence, au delà de son aspect anecdotique voire futile, faire prendre conscience au législateur qu'il doit agir d'une main tremblante lorsqu'il pousse des acteurs privés à se faire juge à la place des juges.

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