Dans son rapport sur l'adaptation des politiques culturelles à l'ère numérique remis l'an dernier, Pierre Lescure a proposé que le conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) devienne le régulateur d'Internet et récupère les pouvoirs de la Hadopi (riposte graduée, observation des pratiques culturelles en ligne, DRM…). Aujourd'hui, ces suggestions sont pleinement intégrées dans le projet de loi Création.
Porté par Aurélie Filippetti, le texte doit être présenté en conseil des ministres d'ici le mois de juin puis discuté par les parlementaires cet automne, une fois les vacances passées et en fonction du calendrier politique. Mais alors que s'écouleront encore plusieurs mois avant les premiers débats à l'Assemblée nationale et au Sénat, les premières fuites commencent à apparaître.
Jeudi, Le Figaro rapportait que le projet de loi Création permettrait aux concurrents français de Netflix de bénéficier d'un débit prioritaire sur les tuyaux des opérateurs. Suggérée dans le rapport Lescure, cette idée consiste à obliger les fournisseurs d'accès à Internet à privilégier les services de vidéo à la demande nationaux pour dissuader les internautes d'aller sur Netflix (même s'il n'est guère connu).
Samedi, c'est BFM TV qui a obtenu une copie d'une version du projet de loi Création qui circule actuellement entre les ministères. Sans surprise, son contenu confirme que le CSA va avoir une casquette de gendarme du web qui s'ajoutera à celle qui couvre déjà l'audiovisuel. Les efforts de Michel Boyon puis d'Olivier Schrameck à la tête du CSA ont donc fini par payer.
Rappelons en effet que cela fait des années que le conseil supérieur de l'audiovisuel veut un champ d'acion élargi afin de pouvoir intervenir au niveau de la distribution d'applications (App Store, Google Play…), des contenus audiovisuels privés, des sites web des chaînes TV et des médias audiovisuels à la demande, comme YouTube et Dailymotion.
Le projet de loi Création
Que dit le projet de loi ? Afin d'accroître les pouvoirs du CSA, on ne parlera plus de "services audiovisuels" mais plutôt de "mise à disposition d’œuvres audiovisuelles, cinématographiques ou sonores, quelles que soient les modalités techniques de mise à disposition", de façon à couvrir le web et non plus seulement la radio et la télévision.
Le CSA pourra également intervenir sur la base de la déontologie de l'information et des programmes. L'élaboration de chartes de régulation pourra être initiée et coordonnée par le CSA, qui veillera à leur respect. En cas d'écart, le CSA pourra fixer des sanctions, mener "des enquêtes pour s’assurer du respect de leurs obligations" et obtenir la "communication de tout document professionnel".
Outre des prérogatives redessinées en matière d'arbitrage des conflits, de suivi de la télévision payante (concurrence, publicité, recommandations, missions de conciliation), un mécanisme est prévu pour récompenser ceux respectant le mieux les règles du CSA. Cela concerne aussi bien les distributeurs de contenus (FAI) que les éditeurs de services (sites web, chaînes TV).
Ces engagements, qui doivent encore être figés via une convention signée avec le CSA, touchent aussi bien au pluralisme, à la mise en valeur des œuvres culturelles françaises et européennes, à l'honnêteté et l'indépendance de l'information, au financement de la culture.
Sur les réseaux sociaux, le contenu de ce projet de loi, qui pourra encore évoluer au cours de son parcours législatif, a entraîné des commentaires acerbes, les uns déplorant la télévisionnisation d'Internet, les autres évoquant une sorte de ministère de l'information qui ne dit pas son nom. D'autres veulent croire que le CSA n'aura pas les épaules pour agir sur Internet vu ses lacunes en matière d'audiovisuel.
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