Créé en 2008, le site Vie De Merde a très vite acquis une grande notoriété avec un concept très simple. Les internautes sont invités à raconter une anecdote en suivant toujours le même format qui commence par "Aujourd'hui", et se termine par "VDM", pour "Vie de Merde". La société Beta&Cie qui l'édite a régulièrement exploité les contributions de ses utilisateurs, en particulier pour les regrouper dans des livres.
Mais dans un jugement du 22 mai 2014, le tribunal de grande instance de Paris vient de lui infliger un coup sévère en jugeant que VDM n'avait aucun droit d'auteur sur les textes publiés, et donc aucune possibilité d'en interdire l'exploitation par des tiers. Pire, le tribunal estime même que ni les anecdotes ni le site dans son ensemble ne répondent aux critères d'originalité qui permettent de dire qu'ils sont protégés par un droit d'auteur.
En l'espèce, Beta&Cie reprochait à l'agence publicitaire Australie d'avoir créé deux publicités TV pour Bahlsen inspirées par VDM, dont une effectivement très proche d'une anecdote publiée sur le site. La pub mettait en scène un stagiaire qui racontait face caméra :
« Hier j’étais malade, mon patron m’a appelé pour avoir le mot de passe de ma messagerie. Mon mot de passe c’est… « stage tout pourri »
Et l'anecdote publiée dans un livre de Vie De Merde disait :
Aujourd’hui, je suis malade. Mon boss m’appelle pour une urgence au boulot et me demande le mot de passe de mon ordi pour récupérer un e-mail important. Pas le choix, je le lui donne. Mon mot de passe est « job2merde ». VDM
Le plagiat est flagrant, mais Vie De Merde ne dispose pas des droits d'auteur sur l'anecdote. Même si le jugement ne le rappelle pas, les conditions d'utilisation de VDM ne prévoient en effet que le fait que "l'auteur accorde à Beta&Cie l'autorisation (1) d'utiliser, copier, distribuer, transmettre, afficher publiquement, présenter publiquement, reproduire, éditer, modifier, traduire et reformater sa contribution dans le cadre du site Web Viedemerde.fr ou de ses partenaires, et (2) de sous-concéder ces droits, dans toute la mesure permise par la réglementation applicable". L'internaute accorde donc à VDM le droit d'exploiter son texte, y compris pour le vendre à un tiers, mais jamais l'internaute ne cède ses droits à l'éditeur.
Les VDM dans le domaine public ?
Pour contrer cette faille, la société a tenté de défendre l'idée que le site VieDeMerde.fr formait une "oeuvre collective" qui génère en elle-même d'un droit d'auteur au bénéfice de l'éditeur. Mais l'argument ne pouvait pas résister à l'examen, puisque le code de la propriété intellectuelle dispose qu'une oeuvre collective est une oeuvre "dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé". Or comme le note le tribunal, sur VDM chaque contribution d'internaute est publiée de façon autonome. "Sa contribution est publiée sous son nom, son pseudo ou en indiquant qu’elle est anonyme ce qui est encore une façon d’individualiser l’auteur".
Mais le coup le plus rude est contre l'anecdote elle-même, dont le tribunal estime (ce qu'il faut apprécier au cas par cas en fonction de chaque texte) qu'elle ne mérite pas protection par le droits d'auteur, y compris donc pour l'internaute qui en est l'auteur. "L'anecdote (…) n’est pas originale dans sa forme, la concision du texte et la structure du récit ne révélant rien de la personnalité de l’auteur, seul l’événement relaté ayant un intérêt, et l’idée qu’elle véhicule peut librement être reprise sans commettre d’atteinte au droit d’auteur de celui qui l’a publié".
Aujourd'hui le tribunal a jugé que mon site n'était pas original. VDM.
Le tribunal estime d'ailleurs que le fait que les internautes ne cèdent pas leurs droits au moment où ils envoient une anecdote "est simplement la manifestation que les internautes ne considèrent pas avoir de droit d’auteur sur leur apport".
Enfin, le coup de grâce. Le TGI de Paris estime que les deux fondateurs de Vie De Merde "ne peuvent prétendre être les auteurs du site qui n’est d’une part qu’une reprise d’un site américain précédent et un site où chacun poste son message et d’autre part, dont ils ne décrivent aucunement l’originalité".
En lot de consolation, le tribunal reconnaît tout de même qu'il y a un agissement parasitaire qui doit être sanctionné au regard du droit de la concurrence, et accorde 5 000 euros de dommages et intérêts. Beta&Cie demandait 200 000 euros.
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