Il faut savoir admirer les subtilités des formulations administratives, qui rendent hommage à Racine et à son Britannicus ("J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'etouffer"). Ce mardi, le Conseil d'Etat a remis un lourd rapport consacré au numérique et aux droits fondamentaux, sur lequel nous aurons largement l'occasion de revenir, dans lequel il émet une série de 50 propositions. Parmi elles figure en deuxième place la belle affirmation qu'il faut "consacrer le principe de la neutralité des réseaux"… mais pour y ajouter aussitôt de très sérieuses et affligeantes réserves.
Ainsi, le Conseil d'Etat commence par écrire que "le principe selon lequel les opérateurs doivent traiter de manière égale l'ensemble du trafic qu'ils acheminent est bon". Il dit même qu'il est "une garantie de la liberté de communication, de la liberté d'entreprendre et de la liberté d'association, ce qui justifie qu'il soit protégé par la loi".
Mieux, il ajoute que "la consécration du principe de neutralité des réseaux apparaît particulièrement nécessaire aujourd'hui". Applaudissements.
Mais patatras, voilà que quelques paragraphes plus loin, le Conseil d'Etat annihile lui-même ce joli discours, en s'opposant fermement à la protection de la neutralité du net imposée par le Parlement européen en avril dernier, lors d'un vote qui n'est toutefois pas définitif.
"Le principe de neutralité du net doit laisser aux opérateurs de communications des espaces de différenciation", tonnent les magistrats. Il trouve le texte adopté par les eurodéputés "excessivement restrictif", et demande que trois fenêtres soient ouvertes aux FAI pour violer la neutralité du net :
- Autoriser les mesures de gestion de trafic en cas de congestion "temporaire OU exceptionnelle", et non pas "temporaire ET exceptionnelle" (ce qui veut dire qu'un FAI pourrait brider du trafic de façon durable plutôt que d'augmenter la taille de ses tuyaux, pour faire face à un afflux de trafic important et continu) ;
- Autoriser les FAI à proposer des "services spécialisés" avec qualité de service garantie (ou services gérés) sans imposer de restrictions sur la nature de ces services. Seul est exigé le fait que la "qualité générale d'Internet" ne soit pas dégradée au profit de ces services spécialisés. Le Conseil veut autoriser les contrats de préférence de débit, à la condition de notifier l'Arcep, qui ne pourrait s'y opposer que si la qualité globale de l'accès à Internet en souffre (ce qui ne veut pas dire grand chose).
- Autoriser les FAI à procéder à une "facturation asymétrique" pour faire payer les éditeurs de services très consommateurs en bande passante. En clair, c'est autoriser le chantage à l'accès aux clients.
L'occasion peut-être de lire cette interview du professeur Dominique Rousseau dans Mediapart, qui réclame une constituante et apporte quelques idées à lui, comme celle-ci :
Le deuxième élément fondamental, si on rédigeait une Constitution, serait la suppression du Conseil d'État, qui se définit parfois lui-même comme étant l'âme de l'État. Or, aujourd'hui, ce dont notre société a besoin, c'est précisément de rompre avec cette conception bonapartiste et étatique d'un lieu sacré où se fabriquerait l'intérêt général, pour laisser vivre les institutions de la société qui, par la délibération, l'échange d'arguments, la vivacité de l'espace public, peuvent produire cet intérêt général renouvelé.
(…)
Le Conseil d'État est une institution respectable, mais qui exprime un moment situé de l'histoire politique de la France, celui où la France avait besoin de l'État pour se construire. Aujourd'hui, la France a besoin de la société civile pour continuer son histoire. La suppression du Conseil d'État permettrait de débloquer les énergies de la société et de faire émerger une diversité sociale des gouvernants. Le problème n'est pas de critiquer l'élite. Toute société a besoin d'une élite. Le problème de la France est d'avoir une élite mono-formatée. Dans les autres pays, il y a une élite, mais elle est diversifiée dans sa formation et ses origines. Cette élite mono-formatée a servi à faire la France d’hier ; la France du XXIe siècle se fera par une élite pluri-formatée
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