Comment bénéficier en pratique de l'exception pour copie privée permise par le code de la propriété intellectuelle, lorsque les fournisseurs d'accès à internet ou les distributeurs de TV par satellite enferment les enregistrements TV dans les magnétoscopes numériques qu'ils intègrent à leurs box ? La question est ancienne, mais il aura fallu attendre que le législateur crée l'Hadopi et lui confie des pouvoirs de régulation des DRM pour avoir enfin une réponse.
La Haute Autorité a en effet publié ce mercredi un avis du 11 septembre 2014 (.pdf), très clairement argumenté, qui répond aux saisines de deux téléspectateurs qui se plaignaient de ne pas pouvoir bénéficier pleinement de l'exception pour copie privée, en raison des DRM propriétaires imposés sur les fichiers des enregistrements vidéo, et/ou du fait que les fichiers n'étaient pas importables vers d'autres appareils. Dans les deux cas, des systèmes de protection des flux vidéo empêchaient d'utiliser un autre enregistreur numérique, rendant impossible la conservation de copies privées d'émissions, films ou séries TV.
En pratique, dès lors que l'on décide de quitter un FAI pour un autre, ou si l'on doit changer de box pour un nouveau modèle ou en raison d'une panne, tous les enregistrements sont perdus. De plus, les box ont une capacité d'enregistrement limitée, qui limite de fait la jouissance de l'exception pour copie privée.
Dans son avis, le collège de l'Hadopi constate qu'il est "toujours possible de réaliser au moins une copie numérique des programmes télévisés reçus par ADSL ou satellite mais que ces copies font le plus souvent l’objet d’importantes restrictions d’usage qui limitent l’interopérabilité et la conservation des fichiers", alors que l'article L331-5 du code de la propriété intellectuelle impose que "les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en oeuvre effective de l'interopérabilité, dans le respect du droit d'auteur".
L'autorité administrative est allée relire les débats de la loi DADVSI de 2006, en particulier ceux qui ont accompagné l'article L331-9 du code de la propriété intellectuelle, qui dispose que "les éditeurs et les distributeurs de services de télévision ne peuvent recourir à des mesures techniques qui auraient pour effet de priver le public du bénéfice de l'exception pour copie privée". Or elle constate que le législateur a souhaité que le basculement de l'analogique (le bon vieux magnétoscope VHS) vers le numérique ne s'accompagne pas d'une restriction de la faculté d'enregistrer des programmes à la TV et d'en conserver des copies.
Fournir des copies n'assurant pas l'interopérabilité, mais presque
Néanmoins, l'Hadopi reconnaît aussi aux ayants droit le fait que la loi française et les textes internationaux leur donnent la possibilité de limiter le bénéfice effectif de l'exception pour copie privée, dès qu'elle risque de porter atteinte à la bonne commercialisation des oeuvres copiées. Or, l'autorité "constate un développement de chaînes de télévision illégales sur internet qui retransmettent tout ou partie du flux linéaire diffusé par les chaînes légales", et indique que des ayants droits étrangers menacent de ne plus accorder de droits de diffuser leurs programmes en France s'ils ne sont pas protégés contre la copie.
Ménageant la chèvre et le chou autant qu'elle le peut, l'Hadopi décide donc d'imposer aux FAI et autres distributeurs par câble ou satellite l'obligation de permettre l'enregistrement des programmes TV et de fournir "des copies durablement conservables et disposant d'une interopérabilité suffisante", sans toutefois renoncer aux restrictions d'usages lorsqu'elles sont demandées par les ayants droits.
En clair, l'Hadopi demande aux FAI de rendre accessibles les copies des enregistrements TV avec un standard de DRM suffisamment répandu pour que le fichier puisse être lu sur différents supports. Une exigence bien plus complexe qu'il n'y paraît, puisqu'elle fait toujours dépendre la possibilité de lecture d'une autorisation gérée par un serveur distant. Qui devra assurer le caractère "durable" de cette autorisation ? Nul ne le sait. En creux, l'Hadopi demande aux FAI et aux ayants droits de trouver ensemble une solution.
En attendant, "il ne saurait être attendu des opérateurs, qui ont agi dans l’incertitude des exigences (de la loi), un renouvellement du parc de récepteurs existants". "Il leur appartient de mettre en place le système de leur choix pour assurer la conservation et l’interopérabilité des copies", prévient l'Hadopi.
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