Faut-il que la recherche de l'égalité femmes-hommes dans les entreprises aille jusqu'à combattre les lois de la nature ? C'est la question qui se pose lorsque l'on apprend qu'Apple et Facebook ont tous les deux en projet d'aider financièrement leurs employées à congeler leurs ovocytes pour continuer à donner la priorité à leur carrière plutôt qu'à leur projet familial.
NBC News rapporte en effet que les deux géants du numérique ont décidé de financer dès cette année la congélation des ovocytes jusqu'à un coût de 20 000 dollars par employée. L'idée est de proposer aux femmes qui le souhaitent d'extraire et de stocker par cryoconservation des ovocytes afin de les mettre à disposition de ces dernières lorsqu'elles voudront avoir un enfant.
Dans toute leur générosité au service du libéralisme, l'idée d'Apple et de Facebook est d'accompagner les femmes pour les aider à concurrencer le plus librement possible les hommes, en faisant fi des obstacles naturels qui font que la carrière d'une femme doit parfois se mettre en pause. Il ne s'agit plus — comme il le faudrait — d'ajuster la politique sociale de l'entreprise pour faire qu'enfin le niveau de rémunération d'une salariée ne soit plus inférieur à celui des confrères masculins, mais d'ajuster la nature et l'employée pour qu'elle s'adapte aux besoins de l'entreprise.
Facebook et Apple veulent faire en sorte que leurs employées n'aient plus à choisir entre mener une carrière professionnelle et devenir mère, mais qu'elles aient plus facilement la possibilité de privilégier l'entreprise sur leur projet maternel. C'est d'autant plus important pour les entreprises de haute technologie, où il n'est pas simple de remplacer pendant quelques mois une femme talentueuse et à haute valeur ajoutée qui décide de s'interrompre pour donner naissance à un enfant. Ce qui est faisable dans les usines l'est moins dans les centres de recherche et de développement.
Liberté ou asservissement des femmes ?
"La congélation des ovocytes est une technique nouvelle où les œufs d'une femme sont extraits, congelés et entreposés. Plus tard, lorsqu'elle est prête à une grossesse, on peut dégeler, féconder puis transférer ces œufs dans l'utérus en tant qu'embryons", explique Wikipédia. Mais c'est tout le problème de l'illusion du libre choix de la femme qui serait enfin "prête à une grossesse". Une femme à qui l'entreprise offre les moyens de décaler de nombreuses années son état de grossesse est-elle vraiment libre de le refuser, ou prend-t-elle au contraire un risque supplémentaire pour sa carrière si elle ne jouit pas de "l'avantage" offert par son employeur ?
Que dirait-on si les entreprises se mettaient à financer la pilule de leurs salariées, pour s'assurer qu'elles ne "tombent" pas enceintes ?
Et jusqu'où cette politique peut-elle aller ? Si la grossesse est vue comme un obstacle à la carrière, qu'il faut combattre par la science plutôt que par des politiques sociales adaptées, on peut imaginer que Facebook et Apple proposent demain aux employées qui veulent un enfant de leur financer une adoption, voire une gestation pour autrui (GPA), légale aux Etats-Unis.
Présentée comme une mesure d'égalité entre les femmes et les hommes, le financement du report de la grossesse n'est en réalité qu'une mesure d'asservissement des femmes aux intérêts de l'entreprise. Une société qui incite ainsi les couples à remettre à plus tard leurs projets d'enfants est une société qui oublie que l'économie doit être au service de l'humain, et non l'humain au service de l'économie.
Il n'y a pas de fatalité à ce que les femmes doivent choisir entre leur grossesse et leur carrière. Ce n'est qu'une question de modèle social à bâtir, pour s'assurer que la grossesse ne soit en rien un handicap dans la progression salariale et l'accès aux responsabilités.
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