D'ici quelques jours ou quelques semaines, pour peu que vous ne soyez pas abonné(e) à Numericable ou à un petit fournisseur d'accès à internet indépendant, et que vous n'utilisiez pas un serveur DNS alternatif, il sera impossible d'accéder à toute une liste de noms de domaine affichant The Pirate Bay. Ainsi l'a décidé le jugement du 4 décembre 2014 ordonnant le blocage du site de liens BitTorrent en France, à la demande des majors de l'industrie du disque.
Mais le jugement est limité par le cadre actuel de la loi, et n'oblige donc à bloquer que les seuls domaines listés par le TGI de Paris, laissant libre d'accès les nouveaux miroirs qui existent déjà. Or parmi la liste des miroirs dressée par le jugement figure un sous-domaine du Parti Pirate, tpb.partipirate.org, créé en son temps pour aider les internautes des pays dans lesquels TPB était déjà bloqué sur décision judiciaire.
Le fait que le domaine créé par un parti politique français figure ainsi dans une liste de sites à bloquer en France n'est pas sans poser questions sur le respect du principe de subsidiarité et surtout de la procédure contradictoire, le Parti Pirate n'ayant pas été appelé à la cause. Sa réaction était donc attendue.
Une action possible en justice…
En effet, le Parti Pirate a sans aucun doute un "intérêt à agir" pour demander en référé la suspension de l'exécution du jugement, et provoquer de fait une forme de procès par représentation sur la légalité ou l'illégalité de The Pirate Bay en France. Il peut profiter de cette tribune judiciaire pour faire valoir ses arguments juridiques sur la nécessité d'une prise en compte de l'utilisation légale de BitTorrent et de The Pirate Bay pour la distribution de contenus autorisés, ou même ses arguments politiques sur la nécessaire réforme du droit d'auteur. Ce serait une manière intelligente pour le Parti Pirate — quoique sans grand espoir — de profiter du fait d'être listé dans le jugement pour présenter une défense qui a été refusée à The Pirate Bay du fait de l'absence de toute convocation à l'audience du site de liens BitTorrent.
Mais plutôt que d'attaquer ainsi le jugement, le Parti Pirate a décidé de répondre à l'absurde par l'absurde. Dans un communiqué, la formation explique que "ce n’est pas le jugement qui nous navre", donnant un très curieux blanc seing idéologique au blocage de son propre sous-domaine ordonné sans contradictoire. Il profite simplement du jugement pour redire son hostilité aux lois réprimant le partage des contenus, et appelle à ce que la décision du TGI de Paris ravive le débat.
… pour le moment écartée
Mais le seul débat que ce communiqué pourrait nourrir est celui d'un nouveau durcissement des mesures. En effet, le Parti Pirate en profite pour annoncer qu'il ouvre une nouvelle URL conduisant à The Pirate Bay (au risque d'engager sa responsabilité pénale et civile), ce qui donnera du grain à moudre à ceux qui proposent un renforcement des ordonnances judiciaires de blocage, voire une automatisation de leur mise à jour.
Contrairement à ce qui est parfois allégué, les ayants droit ont pris parfaitement conscience de l'inutilité complète de jugements tels que celui-ci qui ordonnent le blocage d'une liste préétablie de domaines, et leur obsession est aujourd'hui de démontrer aux pouvoirs publics que la justice est dépassée, et qu'il faut donc s'en passer. Ils profiteront de la multiplication des miroirs de The Pirate Bay pour demander que les clés du blocage soient confiées à des autorités privées et que le modèle de la LCEN sur la suppression des contenus illégaux "dès notification" à l'hébergeur soit étendu au blocage "dès notification" aux FAI. Leur stratégie est à long terme, et les miroirs sont autant de munitions dans leur fusil.
… avec un piège tendu aux ayants droits ?
Notons toutefois que dans sa stratégie par ailleurs critiquable, le Parti Pirate a eu une bonne idée. Son nouveau miroir est en effet l'URL https://partipirate.org/thepiratebay, qui n'utilise plus un sous-domaine mais un dossier du domaine principal, en HTTPS. Il ne pourra donc plus être bloqué par les FAI sans bloquer l'accès à tout le site du Parti Pirate, ce qui est probablement l'objectif visé.
Si le jugement venait à être mis à jour pour imposer ce blocage, sans doute cette fois-ci le Parti Pirate prendrait-il les armes judiciaires pour combattre la décision en criant à la censure de l'ensemble de son site de parti politique français. Fallait-il pour autant laisser passer la possibilité d'attaquer dès aujourd'hui le jugement du 4 décembre, au nom d'une opposition de principe à tout blocage ordonné sans contradictoire ?
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