Lundi, Numerama expliquait que l'article 15 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) autorisait dans un cadre strict les états membres du Conseil de l'Europe à déclarer leur intention de déroger à certains des droits fondamentaux en principe garantis par le traité. C'est Valérie Pécresse, déjà favorable à l'instauration d'un "Patriot Act à la française", qui a rappelé cette possibilité lors d'une interview sur RTL, pour encourager le Gouvernement à aller très loin dans la mise à l'écart de certaines libertés, pour lutter contre le terrorisme.
Jörg Polakiewicz, qui dirige la Direction du Conseil juridique et du Droit international public (DLAPIL) du Conseil de l'Europe, nous a signalé que l'historique complet des déclarations faites par les états concernant l'application de l'article 15 étaient en ligne sur cette page.
On y découvre d'abord que la France est le seul des 47 états membres du Conseil de l'Europe à refuser d'être bridé par les quelques droits dits "indérogeables" qui doivent être garantis en toutes circonstances, y compris en temps de guerre. Elle fait prévaloir l'article 16 de la Constitution qui donne au président les pleins pouvoirs en cas de nécessité. Par le biais d'une réserve d'interprétation émise le 3 mai 1974 au moment de ratifier la CEDH, la France avait en effet expliqué que "pour l'interprétation et l'application de l'article 16 de la Constitution de la République, les termes dans la stricte mesure où la situation l'exige ne sauraient limiter le pouvoir du Président de la République de prendre les mesures exigées par les circonstances". Malgré tout, la France avait tout de même explicité sa volonté de déroger aux droits de l'Homme pour gérer les émeutes de Nouméa en Nouvelle-Calédonie, en 1985.
LE TERRORISME UTILISÉ POUR JUSTIFIER UNE DÉROGATION AUX DROITS DE L'HOMME
C'est en Grande-Bretagne que l'on trouve la situation la plus proche de celle que l'on pourrait connaître en France. Outre de nombreuses dérogations demandées pour gérer les conflits coloniaux, ou le terrorisme nord-irlandais, la Grande-Bretagne avait déposé le 18 décembre 2001 une déclaration de déclaration, consécutive aux attentats du 11 septembre. Elle est intéressante puisqu'elle montre le seuil de "danger" que peut ressentir un Etat pour justifier de mettre en oeuvre des mesures exceptionnelles, en principe réservées aux guerres ou au "danger public menaçant la vie de la Nation".
"Il existe une menace terroriste à l’endroit du Royaume-Uni de la part de personnes soupçonnées d’être impliquées dans le terrorisme international", avait expliqué la royauté britannique en 2001. "En particulier, certains ressortissants étrangers présents au Royaume-Uni sont soupçonnés d’être impliqués dans la commission, la préparation ou l’instigation d’actes de terrorisme international, d’être membres d’organisations ou de groupes concernés par ces actes ou ayant des liens avec des membres de tels organisations ou groupes, et qui sont une menace à la sécurité nationale du Royaume-Uni". Autant d'arguments qui pourraient être repris aujourd'hui par la France concernant les terroristes affiliés à Al-Qaïda ou à l'Etat Islamique, qui pour la Grande-Bretagne permettaient d'affirmer qu'il "existe au Royaume-Uni un danger public au sens de l’article 15 (1) de la Convention".
A l'époque, il s'agissait pour les Britanniques de justifier l'entrée en vigueur d'une loi d'exception, le Anti-terrorism, Crime and Security Act 2001, qui prévoyait un pouvoir élargi d'arrestation et de détention, contraire à la CEDH.
Finalement, la Grande-Bretagne avaient retiré cette dérogation en 2005, au moment où la loi a été abrogée.
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