Il aura donc fallu qu’Amazon décide d’investir le marché français pour que les autorités publiques se saisissent de la question et finissent par reconnaître, contraintes et forcées, que la loi pour le prix unique du livre numérique de 2011 tire effectivement une balle dans le pied aux modèles économiques les plus dynamiques.
Dès 2011, Numerama avait prévenu lors de l’entrée en vigueur de la loi que le dispositif inspiré de la loi Lang s’avérerait contre-productif pour le marché du livre numérique et pénaliserait les éditeurs eux-mêmes, en raison de l’impossibilité légale de proposer des offres d’abonnements illimités. Rappelons ce que nous avions écrit sur ce sujet il y a plus de trois ans :
On ne voit pas, à ce stade, comment la loi pourrait être bénéfique à l’édition littéraire en France. Au contraire, elle risque de la scléroser sous des contraintes administratives excessives et inédites au monde, qui in fine ne profiteront pas au lecteur. Il n’est même pas certain que la loi autorise les plateformes à proposer des offres d’abonnement « à la Deezer ». Si chaque éditeur pourra fixer son propre prix pour les abonnements à l’ensemble de son propre catalogue, rien ne semble en effet permettre de panacher les offres de plusieurs éditeurs dans un même abonnement. Or il y a de fortes chances que ce mode de découverte de la littérature se développe de plus en plus… en tout cas à l’étranger. Amazon s’y est déjà lancé aux Etats-Unis.
Depuis, nous avons plusieurs fois expliqué pourquoi un Amazon Kindle Unlimited serait illégal en France, et comment Amazon espérait contourner la loi en créant un « club de lecteurs ». La loi oblige en effet les éditeurs à fixer un prix de vente au public pour chacun de leurs livres, et est rédigée de telle manière que tout dispositif de location ou de consultation à distance est également concernée. Impossible de proposer un abonnement illimité, sauf à réunir dans une même offre les livres d’un seul et même éditeur ou d’un même groupe.
Mais nous nous étions étonnés du silence des autorités et des éditeurs face à des offres déjà proposées en toute impunité par plusieurs acteurs comme Youboox ou YouScribe. C’est uniquement lorsque le géant américain Amazon s’est lancé sur le marché que le ministère de la Culture s’est réveillé, bien aidé par un Syndicat National de l’Edition (SNE) alarmé, et que Fleur Pellerin a décidé de mandater la médiatrice du livre Laurence Engel.
DES ABONNEMENTS SONT POSSIBLES, MAIS LIMITÉS
Dans son rapport relayé par Actualitté, celle-ci reconnaît que « les services de lecture numérique par abonnement proposant un accès illimité à un catalogue de livres provenant de différents éditeurs sont susceptibles de soulever des difficultés au regard des principes régissant l’interdiction des ententes sur les prix » (puisque les éditeurs sont tenus de fixer le prix de vente au public, et non pas le prix de vente au détaillant).
Laurence Engel estime toutefois que la loi n’a pas à être modifiée et qu’elle préserve la possibilité d’innovation, sans aller jusqu’à permettre un Netflix du livre. « Sans être exhaustif et en laissant à l’initiative des opérateurs la responsabilité d’imaginer des offres légales répondant aux attentes des lecteurs, on peut évoquer quelques formules envisageables, témoins de la diversité des possibilités offertes par le cadre légal : abonnement à un catalogue de livres provenant d’un même éditeur accompagné des services propres au numérique (feuilletage, sociabilité en réseau, prescription…), abonnement à un catalogue constitué à partir de la cession de droits limitée à ce type d’exploitation (équivalent d’une édition de seconde gamme de type livre de poche ou club de livres), abonnement à un nombre prédéfini d’ouvrages, abonnement à un « compte livres » (sur le mode des chèques livre ou d’un système de points), abonnement à un bouquet d’offres éditeur (au menu ou à la carte)…« , écrit-elle.
UN NETFLIX DES LIVRES ÉTRANGERS RESTE LÉGAL
Enfin, curiosité d’une loi censée défendre la diversité culturelle et l’exception culturelle française, le rapport de Mme Engel reconnaît que la loi est de portée limitée. « Les offres d’abonnements proposant des livres issus de catalogues d’éditeurs étrangers ne sont pas concernées par la loi et n’ont pas à appliquer le système de prix imposé« , prévient-elle.
En effet, la loi qui impose de fixer le prix de vente au public ne s’applique qu’aux seuls éditeurs établis en France, et uniquement à l’égard des marchands français. Aussi, il restera légal de passer par des plateformes étrangères qui contourneront la loi française.
En conséquence du rapport, Fleur Pellerin donne trois mois à Amazon pour se conformer à la législation française.
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