Réagissant aux premiers blocages de sites internet ordonnés par le ministère de l'intérieur, le Syndicat de la Magistrature constate les "conséquences préoccupantes" du pouvoir de censure confié à l'Etat en dehors de toute procédure judiciaire.

On pensait ce type de mesures réservées aux états totalitaires, mais elles sont désormais appliquées en France, sans que ça ne soulève d'émotion particulière dans un pays qui se gargarise pourtant d'enseigner à ses enfants les vertus de la séparation des pouvoirs et de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Plusieurs sites internet ont été bloqués en France sur simple ordre du ministère de l'intérieur, sans aucune vérification préalable de leur illégalité par l'autorité judiciaire, sans aucune démonstration de leur illégalité, et alors-même qu'au moins l'un d'entre eux fait peser le lourd soupçon d'une censure politique digne des lettres de cachet auxquelles avait mis fin un roi à qui les révolutionnaires ont coupé la tête. On en perdrait ses repères, si tant est qu'il en existe encore.

La question n'est pas de savoir si Islamic-News.info et les quatre autres sites étaient effectivement des sites d'apologie du terrorisme, mais de savoir qui doit avoir le pouvoir de l'affirmer avec les conséquences qu'implique un tel jugement en terme d'atteinte à la liberté d'expression, et à la liberté de s'informer. La police, ou la justice ?

"Au cours des débats parlementaires de la fin de l'année 2014, le Syndicat de la magistrature avait dénoncé le choix de confier à l'autorité administrative un pouvoir de blocage des sites faisant l'apologie ou provoquant à des actes de terrorisme", rappelle le syndicat à Numerama. "Au delà de la contestation de la technique même du blocage (aisément contournable par ceux qui en ont les moyens, mais susceptible de s'appliquer bien au delà des contenus estimés contraires à la législation), c'est le contournement du juge qui était en cause. C'est pourtant bien le juge judiciaire qui est le gardien constitutionnel des libertés."

"DES CONSÉQUENCES PRÉOCCUPANTES"

"L'identification des discours ou images qui relèvent de l'apologie du terrorisme pose souvent des questions complexes. Malgré cela, le gouvernement a fait le choix de confier ce pouvoir à l'administration et de ne permettre qu'un contrôle juridictionnel a posteriori par le juge administratif".

Suite à la lettre ouverte d'Islamic-News publiée par Numerama, le SM constate que "les premières mises en oeuvre de ce pouvoir de blocage démontrent les conséquences préoccupantes de ce choix".

"Sans pouvoir se prononcer précisément sur le contenu des sites qui en ont fait l'objet, l'absence de débat contradictoire avant toute décision signe un déséquilibre manifeste entre la protection de la liberté d'expression et la sanction des actes contraires à la loi", regrette-t-il. "Aujourd'hui, l'utilisation de cette procédure administrative et non contradictoire jette la suspicion sur l'usage de ce pouvoir, qui peut être dévoyé par une conception extensive des notions d'apologie et de provocation au terrorisme. Le Syndicat de la magistrature s'était d'ailleurs inquiété des déclarations du ministre de l'intérieur qui avait évoqué l'application d'un "principe de précaution". Le Syndicat de la magistrature estime, avec d'autres organisations (et selon une réflexion qui était, il y a encore quelques années, celle du parti socialiste…) que ces contenus ne doivent pouvoir être retirés qu'à l'issue d'une procédure judiciaire préalable, même rapide, au cours de laquelle les responsables du site ont la capacité de s'expliquer et de se défendre devant un juge indépendant".

"C'est la condition de la légitimité des décisions de retrait de contenu faisant l'apologie du terrorisme ou y provoquant", conclut le syndicat.

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