Lundi, Numerama rapportait que le réseau IRC francophone EpikNet avait annoncé une modification radicale de ses règles, pour imposer à partir de septembre 2015 une vérification de l'identité des utilisateurs, obligés de fournir leur carte d'identité pour discuter sur les canaux IRC. Mais comme certains l'avaient deviné, il s'agissait d'un poisson d'avril anticipé. L'équipe d'EpiKnet nous a contacté pour nous communiquer leurs explications sous forme de tribune.

Voici le texte d'EpiKnet, que nous publions tel quel :

Faites-vous partie des gens qui ont sauté au plafond en lisant l’édito du 30 mars indiquant qu’EpiKnet allait autoriser l’accès sur ses salons officiels aux seuls pseudos enregistrés (+RM) et demander une pièce d’identité pour l’enregistrement des pseudos ? Rassurez-vous, c’était bel et bien un poisson d’avril en avance. ;)
 
Faites-vous partie des gens que cela n’a pas choqué et qui se demandent pourquoi tant de buzz autour de cet édito ?
 
EpiKnet est une association qui milite pour la liberté d’expression sur Internet en fournissant un chat IRC gratuit ainsi que les services qui tournent autour.
 
Nous avons décidé de lâcher ce poisson afin de faire réfléchir sur les thèmes de la vie privée, de la surveillance accrue et des dérives de la France qui glisse dangereusement vers un pays autoritaire qui traite ses citoyens comme des suspects et les condamne sans procès.
 
Commençons par expliquer le contexte dans lequel cet édito s’inscrit, car ce choix de poisson est loin d’être anodin. Celles et ceux qui ont suivi l’actualité française ne manqueront pas de constater les attaques répétées du gouvernement français contre les libertés individuelles dans le but – soit disant – d’améliorer la sécurité des citoyens et des citoyennes.
 
Récemment, fin 2014, a été votée la loi de programmation militaire (LPM) qui, entre autres, instaure deux choses :
 
  1. le pouvoir de l’administration d'interdire sans jugement un citoyen de sortir du territoire si jamais il consulte des sites faisant l’apologie du terrorisme ainsi que d’autres actions plus ou moins précises ;
     
  2. le pouvoir de censurer sans jugement tout site internet faisant l’apologie du terrorisme.
Nous trouvons gravissime cette loi pour plusieurs raisons :
 
  • Elle fait disparaître – de fait – l’état de droit, en retirant au citoyen le droit fondamental à un procès équitable avec jugement par le pouvoir judiciaire. Le citoyen est maintenant condamnable sans droit au procès, sans même que l’administration n’ait à se justifier.
     
  • Aujourd’hui, la liste des actions considérées comme « louches » est déjà assez vague, mais c’est bien entendu la porte ouverte à son agrandissement pour des raisons qui s’éloigneront de plus en plus du terrorisme. Pour la censure sans jugement, nous n’avons pas eu besoin d’attendre très longtemps pour voir s’élargir le dispositif : elle est désormais aussi applicable aux sites de proxénétisme ainsi qu’aux sites pédopornographiques.
Cette loi attaque nos libertés fondamentales en donnant l’illusion de l’amélioration de notre sécurité.
 
Le gouvernement est d’autant plus agressif qu’il s’est donné carte blanche après les attentats de janvier 2015 et se sert du climat de peur pour mettre en place des lois de lutte contre le terrorisme n’ayant que pour effet de restreindre la liberté d’expression.
 
Mais ce n’est pas tout, car un nouveau texte est en discussion : le projet de loi sur le renseignement. Ce projet va de fait légaliser la surveillance de masse par le gouvernement :
 
  • La durée de conservation des données par les services de renseignement passerait à 5 ans, alors que la directive de conservation des données – par les fournisseurs d’accès à internet (FAI) – pendant 1 an a été invalidée par la cour de justice de l’Union Européenne après avoir été jugée « disproportionnée ».
     
  • Des « boîtes noires » permettant de détecter de façon automatisée les communications définies comme « suspectes » des internautes seraient installées dans les réseaux des opérateurs (article 2 alinéa 8).
     
  • Dans le cas où les intermédiaires techniques (comme les hébergeurs de contenus) chiffreraient les données de leurs utilisateurs, ils se verraient maintenant dans l’obligation de remettre les clefs de chiffrement sans délai aux agents des services de renseignement.
     
En clair, ce projet de loi vise à généraliser et légaliser la surveillance des communications des internautes, en rendant caducs les services de chiffrement gérés par des tiers. Tout le monde sera surveillé, tout le monde sera suspect.
 
Est-ce le monde dans lequel nous désirons vivre ? Est-ce que ça ne vous rappelle pas 1984 (le livre de Georges Orwell) ? N’est-ce pas ici la logique du Panoptique, où tout le monde se sentant surveillé va s’auto-censurer ?
 
La nouvelle politique d’EpiKnet était un poisson d’avril, la politique sécuritaire du gouvernement n’en est malheureusement pas un.
 
EpiKnet a toujours prôné défendre la liberté d’expression sur Internet, et nous continuerons de le faire. EpiKnet continuera de défendre le pseudonymat : vous pourrez toujours vous connecter avec un pseudo non-enregistré et venir débattre en passant par une connexion chiffrée en SSL (qui n’assurera pas forcément la confidentialité des échanges si la loi sur le renseignement passe).
 
Le poisson, à un certain degré, a fait son office : de nombreux internautes sont venus sur #EpiKnet pour se plaindre de cette nouvelle politique ou tout simplement pour débattre sur le bien-fondé de certaines logiques sécuritaires.
 
Nous tenons à remercier toutes les personnes qui nous ont insultés, trollés et qui nous ont fait part de leur mécontentement sur IRC et sur les réseaux sociaux 2.0 : c’était l’effet espéré. :) Cela montre qu’une partie au moins des internautes est déjà sensibilisée à ces problématiques et ne s’en laisse pas conter.
 
Nous terminons cette tribune par deux petites citations :
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. » – Benjamin Franklin.
 
Et enfin le dernier paragraphe du MOTD (Message Of The Day) d’EpiKnet, depuis presque 15 ans :
 
Parce que la différence est une valeur que nous devons cultiver,
Parce que dans toutes les relations, le respect est primordial,
Parce que la liberté est un droit inaliénable et fondamental,
Parce que le dialogue a toujours fait avancer l’humanité,
Et parce que l’aventure est d’un tentant hypnotique …
… est né EpiK
 
A bientôt, sur EpiKnet :)
 
L'Equipe d'EpiKnet
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