Admettons, malgré les doutes que l'on peut avoir suite à notre enquête, que le piratage de TV5 Monde soit bien l'oeuvre d'un groupe proche de l'Etat Islamique, et non celle d'un groupe de pirates prenant ce visage parmi d'autres. Que faudrait-il en penser sur le fond de l'affaire ? Le Premier ministre Manuel Valls a réagi jeudi matin par des mots très justes, en condamnant le fait que "l'attaque du réseau #TV5MONDE est une atteinte inacceptable à la liberté d'information et d'expression". Le chef du gouvernement a sans nulle doute raison, totalement raison, bien évidemment raison. Mais en rester là serait oublier que la censure des uns par le piratage répond à la censure des autres par l'abus de pouvoir. Les deux sont tout autant inacceptables.
Comme l'expliquait le sociologue Max Weber dans Le Savant et le Politique, l'Etat détient le monopole de la violence légitime, c'est-à-dire qu'il est le seul à pouvoir employer la force à l'encontre des tiers. Mais à la condition que cette violence soit effectivement "légitime", c'est-à-dire que le peuple lui ait reconnu ce pouvoir.
En décidant le mois dernier de faire censurer le site d'informations Islamic-News.info sans qu'un juge vérifie l'accusation très contestable d'apologie du terrorisme (laquelle est toujours une affaire d'abord politique), l'Etat a exercé son pouvoir de violence à l'encontre d'un média auquel la France semble surtout reprocher ses opinions politiques.
S'agissait-il de l'exercice d'une "violence légitime", alors que la loi sur laquelle elle s'appuie n'a pas été soumise au Conseil constitutionnel, et qu'elle a été considérée contraire aux droits de l'homme ? Le débat sera tranché par l'issue d'au moins deux recours, celui déposé par Numerama, et celui plus radical encore déposé par la Quadrature du Net et FFDN.
UNE BATAILLE POUR LA PROPAGANDE
Mais sur le fond. Les débats parlementaires de l'an dernier l'avaient démontré. La France s'est engagée dans une guerre qui justifie à ses yeux de faire de la contre-propagande de guerre, et donc de censurer les médias nationaux ou étrangers qui pourraient relayer sans critiques le regard de l'adversaire. C'est un grand classique simplement réadapté à l'ère moderne d'Internet. Parce qu'il exerce la "violence légitime", le Gouvernement peut obtenir cette censure très facilement, en ordonnant aux fournisseurs d'accès à Internet de bloquer l'accès aux médias auxquels les Français ne doivent plus avoir accès, par crainte qu'ils en perdent leur patriotisme, voire qu'ils basculent dans les rangs ennemis. Or l'Etat Islamique, lui, ne dispose pas en France de cette "violence légitime" qui lui permette de censurer les médias pro-occidentaux et de conserver ses fidèles. Sa réponse est donc la seule dont il dispose, la violence illégitime, pour censurer les médias français en tenter de les pirater. L'action est plus spectaculaire, mais son effet est aussi beaucoup moins durable. Elle n'aura pénalisé TV5 Monde que quelques heures, quelques jours au plus.
Certes, le groupe "CyberCaliphate" à l'origine de l'attaque ne s'est pas contenté d'empêcher l'accès aux informations diffusées par TV5 Monde. Il a modifié le contenu de ses sites et réseaux sociaux pour lancer son message contre la France et en faveur de l'EI. Mais est-ce très différent de ce que fait le ministère de l'intérieur lorsqu'il redirige les lecteurs d'un média islamique vers une page internet qui affirme en lettres majuscules rouge sang que "VOUS AVEZ TENTÉ DE VOUS CONNECTER À UN SITE DONT LE CONTENU INCITE À DES ACTES DE TERRORISME OU FAIT PUBLIQUEMENT L'APOLOGIE D'ACTES DE TERRORISME" ?
En matière de censure, il n'y a pas de bons ou de méchants. Il n'y a que des belligérants qui font de l'information du peuple l'un des terrains de bataille stratégiques à conquérir. Quels que soient les moyens employés, légitimes ou illégitimes.
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