"Varoufakis, la seule revue [de sciences économiques] dans laquelle il ait publié, c'est Paris Match, non ?". La question entendue à la rédaction de BFM Business en dit long sur le mépris irrationnel qui peut sévir à l'égard du désormais ex-ministre des finances grec Yanis Varoufakis, alors que l'homme de 54 ans, titulaire d'un doctorat de l'Université d'Essex, ancien professeur d'économie à Athènes, Austin, Cambridge, Sydney ou Glasgow, affiche un curiculum vitae bien mieux rempli en la matière que le ministre des finances de la France, Michel Sapin, qui fit des études d'histoire-géographie avant de rejoindre l'ENA et de faire carrière politique dans l'administration et au PS.
Il est toutefois une entreprise, et non des moindres, qui a pris Yanis Varoufakis très au sérieux : Valve. L'entreprise fondée par Gabe Newell a recruté l'économiste fin 2011 pour devenir son "économiste maison", alors que celui-ci ne connaissait strictement rien aux jeux vidéo. "La dernière fois que j'avais joué à un jeu sur ordinateur c'était Space Invaders à l'Université, en 1981 ou quelque chose comme ça", raconte-t-il. Mais c'est justement ses positions tranchées mais argumentées sur l'euro, sur la crise de la dette publique et sur le plan d'austérité imposé aux Grecs qui a séduit Gabe Newell et l'éditeur de Steam, la plus grande plateforme mondiale de jeux vidéo dématérialisés au monde.
En octobre 2011, Newell a envoyé un simple e-mail à Varoufakis, qui publiait régulièrement ses analyses critiques sur son blog, au sujet de la situation grecque qu'il estimait aggravée par l'austérité imposée par ses créanciers. Valve a vu un parallèle entre la crise de l'euro, due notamment au fait de partager une monnaie commune entre des économies très différentes, et ses propres difficultés à gérer une seule plateforme mondiale pour tous les pays et toutes les économies du monde.
"Nous rencontrons tout un tas de problèmes à mesure que nous faisons croître nos économies virtuelles, et que nous lions nos économies entre elles. Seriez-vous intéressé pour nous conseiller ?", demandait très directement le fondateur de Valve, qui a gagné la curiosité de l'économiste.
Un an auparavant Valve avait créé son Porte-monnaie Steam, et semblait hésiter à créer une monnaie virtuelle unique qui permettrait aux joueurs de se parler dans une même "devise" en "points Steam" (ou autres) lors de l'achat ou de la revente d'objets virtuels.
"Je vous suis depuis un moment sur votre blog… Nous discutions ici dans ma société du problème de lier des économies dans deux environnements virtuels (en créant une monnaie partagée), et nous sommes aux prises avec certains des problèmes les plus épineux en matière de balance de monnaie. C'est là que ça m'a sauté aux yeux : "c'est l'Allemagne et la Grèce", une pensée que je n'aurais pas eue si je n'avais pas lu votre blog. Plutôt que de continuer à vous émuler dans ma tête, j'ai pensé qu'il faudrait voir si on ne pourrait pas intéresser le vrai vous à ce que nous faisons".
VALVE, UNE ENTREPRISE "SOCIALISTE" ?
Quelques jours plus tard, Varoufakis faisait un détour vers Seattle au bout d'un parcours programmé aux Etats-Unis pour promouvoir un livre sur la crise économique mondiale, et se voyait offrir un job à plein temps. "Un rêve d'économiste qui devient vrai", se réjouit-il en comprenant qu'avec Valve, il devient possible non seulement d'émettre des théories économiques, mais de les vérifier de façon expérimentale en manipulant les données en temps réel des ventes sur Steam et sur différents jeux vidéo de Valve (notamment les échanges d'objets virtuels dans Team Fortess 2), pour voir quels mécaniques fonctionnaient le mieux.
En tant qu'économiste en chef chez Valve, Varoufakis s'est aussi fortement intéressé à la structure managériale très particulière de la société, qui ne connaît aucune hiérarchie et fonctionne presque de façon anarchique, avec des résultats pourtant impressionnants malgré les quelques 400 salariés qui se répartissent sur les tâches sur une base de volontariat, et s'auto-évaluent entre pairs pour répartir les bonus de rémunération. Gabe Newell a donné à son organisation un fonctionnement atypique, que Varoufakis a lui-même qualifié de "socialiste", et qui semble fonctionner parfaitement. Il était donc naturel qu'il fasse appel à un économiste qui ne cache pas ses vues "marxistes", et naturel que celui-ci accepte l'offre d'emploi, jusqu'à ce que le devoir le rappelle en Grèce.
Jusqu'à sa démission de ce lundi matin.
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