La critique est vive, mais elle est à la hauteur des craintes soulevées par la loi sur le renseignement. Alors que le texte a été définitivement adopté fin juin par le parlement français, Éric Léandri, le directeur général du moteur de recherche européen Qwant, a clairement marqué son désaccord, estimant que cette législation – qui doit encore traverser le Conseil constitutionnel – aura un effet délétère pour les affaires.
AUJOURD'HUI, LA LOI RENSEIGNEMENT. ET DEMAIN ?
"Aujourd'hui, la vie privée a du sens. La respecter en a davantage. Déjà que les internautes doivent batailler tous les jours avec le fait que leurs données sont prises à leur insu par des multinationales et pour des finalités méconnues, doivent-ils désormais se méfier de l'État ?" nous confie Éric Léandri.
"Le problème de ce genre de loi est que : vous comprenez pourquoi elles sont créées, mais vous ne savez jamais par quoi ni comment elles seront complétées", poursuit-il.
LA CONFIANCE CÈDE LA PLACE À LA SUSPICION
En tant qu'entreprise, Qwant s'inquiète évidemment du mauvais coup que pourrait provoquer un tel texte sur le développement de l'économie numérique en France. Le directeur général du moteur de recherche a bien sûr en tête les dégâts causés par la surveillance de masse aux États-Unis, avec des pertes estimées pour le secteur du cloud à plusieurs dizaines de milliards de dollars.
"La confiance a quand même pris un sacré coup dans l'aile pour l'ensemble des géants américains qui encore hier passaient pour de gentils « bisounours ». Est-ce que nous, en Europe, avons les moyens de supporter ce genre de pression ? Et surtout, est-ce qu’il est cohérent, alors même que nous avons tout fait pour être les plus respectueux possibles de nos usagers, de mettre une telle suspicion sur des gens qui font de l'hébergement, du cloud ou des moteurs de recherche ?".
Car Qwant se veut exemplaire sur le respect de la vie privée, avec la minimisation et l'anonymisation des données chaque fois que c'est possible. En exemple, Éric Léandri cite l'inscription aux carnets (une fonctionnalité de Qwant, ndlr). "Avant, nous avions l’adresse IP et l’e-mail de l’utilisateur. Aujourd’hui nous nous passons de l’adresse IP car elle n’est d’aucune utilité au fonctionnement du produit. Quant à l’e-mail, vous pouvez utiliser Yopmail (un service de boîte aux lettres jetables)".
QWANT VEUT RESTER EN FRANCE. MAIS MET EN GARDE
La situation actuelle pourrait-elle conduire Qwant à aller voir ailleurs, à l'image de la décision prise par l'hébergeur Altern, qui a annoncé quitter la France pour la Norvège, et le service Eu.org, qui a pris une décision similaire ? Ce n'est officiellement pas d'actualité. "Je pense que les principaux visés sont les acteurs du cloud et de l’e-mail. Chez Qwant, techniquement, je pense que nous ne serons pas impactés".
Pour que cela change, il faudrait une détérioration encore plus forte de la situation. "Si demain matin tout changeait, et que ce genre de loi posait un vrai problème de confiance, il suffirait de déplacer les serveurs front dans n'importe quel pays européen. Vous allez en Belgique, vous y placez vos serveurs front, ceux qui présentent les résultats aux utilisateurs, et vous n'avez plus de problème".
Éric Léandri clarifie ainsi les choses, alors que des rumeurs évoquaient ces dernières semaines la perspective d'une migration des serveurs de front en Allemagne. "Est-ce que j'ai déplacé mon infrastructure en Allemagne ou ailleurs ? Non". Aujourd'hui, Qwant maintient ses activités en France à leur niveau actuel, qu'il s'agisse des salariés, de l'infrastructure ou des systèmes.
"Premièrement, si je dois déplacer quelque chose, ce sont les serveurs de front et deuxièmement, je ne les déplacerai que, si, « malgré » la minimisation des données, mon HTTPS, les mesures de non traçabilité que nous avons prises et la mise en place de boîtes noires, un vrai problème se pose vis-à-vis des utilisateurs. On veut être réalistes et francs avec nos utilisateurs".
MINIMISER POUR LIMITER LA TRANSMISSION DE DONNÉES
Un déménagement à l'étranger pourrait d'ailleurs entraîner des difficultés juridiques. "Je ne souhaite pas me retrouver dans une position inconfortable ou dans des procédures compliquées venant de l'étranger, parce que je n'aurais pas tenu la promesse qui est dans mes CGU et mes CGV", ajoute le directeur général, qui préfère pour l'instant activer les leviers à disposition.
"L'idée globale c'est que si nous n'avons pas de données, nous n'avons rien à transmettre. Et pour moi, la minimisation des données est une étape très importante dans ce cadre-là. Je pense qu'il faut la promouvoir auprès des différents acteurs, dans le respect des cadres légaux européens et français (CNIL), car il y a en réalité énormément de choses que nous avons le droit de « ne pas avoir »".
Et d'ajouter, confiant, que "ce n'est pas en vous branchant chez nous que vous allez apprendre quoi que ce soit. Il n'y a aucun réel intérêt à se brancher derrière un moteur de recherche". Mais le gouvernement partage-t-il ce point de vue ? Rien n'est moins sûr.
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