Le Premier ministre Manuel Valls et la secrétaire d’état au numérique Axelle Lemaire ont donné ensemble, samedi matin, le coup d’envoi d’une consultation publique de trois semaines sur le projet de loi pour une République numérique, qui matérialise enfin l’Habeas Corpus numérique promis depuis 2013 et maintes fois repoussé.
Pour renforcer les chances d’adoption du projet de loi, l’ambition initiale portée en son temps par Fleur Pellerin a été nettement revue à la baisse, avec en particulier la mise à l’écart de l’essentiel des questions de régulation économiques. Elles seront laissées à une future loi Macron 2 prévue pour 2016 (une division contestable entre libertés et régulation économique, déjà envisagée de longue date).
Il en résulte « un texte court, ramassé, dynamique« , qui « pose les grands principes d’une société numérique« , a expliqué Manuel Valls, alors qu’Axelle Lemaire, forcément déçue de laisser à Emmanuel Macron le vaste chantier de l’encadrement de l’économie numérique (notamment collaborative), admet que le texte « ne répond pas à toutes les questions« , mais « pose le socle de la base d’une construction« .
Mais même avec une ambition amoindrie, le projet de loi présenté samedi matin apporte des avancées notables et fort bienvenues, qui en feront peut-être le premier texte législatif véritablement consensuel sur la régulation du numérique. Citons par exemple :
- L’obligation d’Open Data par défaut pour les administrations qui devront mettre leurs données publiques à disposition (non plus seulement sur demande) dans un format ouvert et sous une licence autorisation leur utilisation y compris commerciale ;
- La création de « données d’intérêt général » que devront fournir les entreprises privées qui sont délégataires de services publics ou exercent des missions d’intérêt public ;
- L’ajout dans la loi d’une notion de « domaine commun informationnel » ;
- L’obligation pour les éditeurs de publications scientifiques de laisser les chercheurs publier gratuitement leurs travaux sur internet au bout de 12 ou 24 mois ;
- L’intégration de la notion de neutralité du net dans la loi (dans une formulation juridique toutefois très liée au règlement européen et donc moins ferme qu’en apparence) avec la possibilité pour l’Arcep d’en sanctionner les violations ;
- Le principe de portabilité des données pour permettre de changer de fournisseur d’adresses e-mail ou de Cloud sans perdre ses données ;
- La création d’un statut de « plateforme en ligne » (anticipant une directive européenne), certes dangereux sous certains aspects, mais qui impose des obligations de transparence et de « loyauté » dans la mise en oeuvre des algorithmes et des conditions contractuelles.
- Le renforcement des pouvoirs de la CNIL.
- La création d’une régulation de la « mort numérique« pour imposer des volontés du défunt dans la transmission des données à un tiers ou le maintien ou non de la visibilité d’informations mises en ligne.
- L’imposition du principe de secret des correspondances numériques (selon une formulation qui pourrait bien rendre illicite le profilage publicitaire opéré par Gmail, Yahoo ou d’autres).
- Le renforcement de l’accessibilité à internet pour les personnes handicapées (hélas essentiellement limité aux sites publics) ;
- Le principe du maintien de la connexion à internet pour les personnes en incapacité de paiement (ce que certains opérateurs télécoms veulent combattre).
« LE PARI DE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE »
Même si les textes ne sont pas parfaits, le projet de loi est de loin de ce que l’on a vu de plus positif depuis de très nombreuses années concernant la régulation d’internet. C’est aussi parce qu’il évite des sujets qui fâchent, comme par exemple l’obligation qui pourrait être faite aux plateformes (Facebook, Twitter, etc.) de mieux respecter la liberté d’expression ou d’être plus transparents dans leurs pratiques de censure, forcément difficile à articuler avec le respect de la liberté d’entreprise et la nécessité de lutter contre des contenus illicites ou immoraux.
Mais c’est justement l’intérêt de la méthode, qu’il faut aussi saluer si elle ne reste qu’un coup publicitaire. Pour la première fois, après déjà une première phase consultative réalisée l’an dernier par le Conseil national du numérique (CNNum), le texte est publié sur une plateforme participative qui permet à tous les citoyens de donner leur avis sur chacun des articles, d’en proposer des modifications soumises aux avis, ou même de proposer de nouveaux articles dans les différents chapitres du projet de loi.
Le Gouvernement s’est engagé à répondre aux propositions qui soulèveront le plus de soutiens, mais pas à les retenir dans le projet de loi final, qui reste un arbitrage politique. « Sans doute il y a quelques années on aurait parlé davantage d’un gadget« , a reconnu Manuel Valls en voulant déminer les critiques sur un dispositif qui pourrait n’être qu’un artifice de communication. « Mais aujourd’hui les choses ont changé« , a-t-il assuré, parlant d’une méthode visant à la « réunion des intelligences ».
« Il est important de souligner qu’il faut faire confiance à l’intelligence collective« , a plaidé le Premier ministre. « Les Français sont un peuple formé, mûr, intelligent, il faut lui faire davantage confiance. (…) Il y aura des propositions irrecevables, des trolls — j’en connais… Mais il y aura aussi des propositions précieuses, des éclairages utiles, nous les étudierons tous. Nous en débattrons, nous en retiendrons bien sûr, nous en écarterons d’autres. Mais nous aurons écris ensemble une belle loi« .
« C’est un pari, mais il faut être audacieux, et il faut prendre des risques ».
Puissent ces risques être également pris lors de la loi Macron 2, qui sera sans doute beaucoup moins consensuelle que la loi Lemaire, et pour laquelle pour le moment aucune phase de consultation publique n’a été annoncée.
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