La protection de la vie privée sera-t-il le nouvel argument commercial qui permettra de privilégier une société du secteur high-tech plutôt qu’une autre ? En tout cas, c’est sur ce terrain que veut désormais se positionner Apple, avec le souci de cultiver ses différences avec ses principaux rivaux que sont Google, Microsoft, Yahoo et Facebook qui ne sont pas, à ses yeux, suffisamment respectueux de l’intimité de leurs clients.
En effet, cela fait maintenant plusieurs mois que la firme de Cupertino donne le sentiment de prendre très à cœur la défense de ses usagers. Lors de la remise début juin d’un prix « champion de la liberté » par l’Electronic Privacy Information Center à Tim Cook, le PDG d’Apple, celui-ci a vivement taclé les sociétés qui basent leur modèle commercial sur l’exploitation des données personnelles (alors qu’Apple, de son côté, vend avant tout des produits électroniques).
LA VIE PRIVÉE, DROIT FONDAMENTAL
Quatre mois plus tard, Tim Cook remet le couvert. Dans le cadre d’un entretien avec NPR, l’intéressé a de nouveau souligné la différence fondamentale entre son groupe et la concurrence, tout en rappelant qu’il n’y a pas forcément de problème à conserver des informations, lorsqu’elles peuvent être utiles à l’usager, et à condition de bien informer ce dernier et de lui laisser la possibilité de se désengager (« opt-out »).
« Ça ne dérange pas les gens que l’on sache l’historique de leurs achats sur l’App Store. Beaucoup de clients veulent qu’on puisse leur recommander une application. Mais ce qu’ils ne veulent pas c’est qu’on lise leur e-mail pour trouver des mots clés, et ensuite utiliser cette information pour vous vendre des choses sur une application différente« , a-t-il déclaré, en visant en filigrane les messageries comme Gmail.
« Nous pensons vraiment que les gens veulent qu’on les aide à garder leur vie privée. La vie privée est un droit fondamental que les gens ont, et nous ferons tout ce que nous pouvons pour maintenir cette confiance [que les consommateurs nous portent] ». a-t-il ajouté « Notre position vient de nos valeurs, pas d’un intérêt commercial […]. Nos clients ne sont pas nos produits« .
PAS DE BACKDOOR CHEZ APPLE, SELON APPLE
Embrayant sur le cas des portes dérobées (« backdoors ») qui pourraient exister dans les produits Apple, Tim Cook a rappelé le problème de ces accès secrets : « la sécurité nationale est toujours importante, bien sûr. Mais la réalité c’est que si vous avez une porte ouverte dans votre logiciel pour les ‘bons gars’, les ‘sales types’ l’utilisent aussi« .
« Je ne pense pas que vous entendrez la NSA demander un backdoor (en fait, si, ndlr). Le FBI ? Il y a eu des discussions [de leur part], mais de mon point de vue tout le monde en vient à quelques principes de base, et ces principes fondamentaux sont que le cryptage est une obligation dans le monde d’aujourd’hui. Et je pense que tout le monde en vient à reconnaître que tout type de backdoor n’est pas envisageable« .
« Je ne soutiens de backdoor au profit d’aucun gouvernement. Jamais« , a-t-il réaffirmé. Tim Cook avait déjà affirmé début 2014 que ses produits ne contiennent aucune porte dérobée. Quelques mois plus tard, une controverse est néanmoins apparue à propos de services non documentés utilisant des backdoors dans iOS. Apple assure qu’il s’agit d’outils de diagnostic, mais le relatif secret autour de leur rôle a malgré tout soulevé des interrogations légitimes.
LES RÉVÉLATIONS DE SNOWDEN, ÉLECTROCHOC SALUTAIRE ?
Depuis les révélations de Snowden sur l’espionnage mondial des réseaux de télécommunications et sur les gigantesques capacités d’interception de certaines agences de renseignement occidentales (à commencer par la NSA), la confiance entre les internautes et les sociétés de la Silicon Valley – qui ont été mises en cause pour leur contribution à certains programmes de renseignement – paraît définitivement brisée.
Pourtant, l’épisode Snowden a eu une vertu : depuis maintenant deux ans, il existe un mouvement de fond en faveur d’un renforcement de la vie privée. Celui-ci se manifeste à deux niveaux :
D’abord, les firmes high-tech sont plus exigeantes sur les conditions d’accès aux données, se montrent plus transparentes et s’efforcent de défendre leurs clients à la fois sur le plan judiciaire, c’est-à-dire devant les tribunaux, et sur le plan politique, en faisant tout simplement du lobbying auprès de la classe politique. Ce constat a été fait par l’EFF, une ONG qu’on ne peut soupçonner de complaisance à l’égard de ces sociétés.
Ensuite, elles déploient des mesures techniques supplémentaires pour empêcher les accès imprévus. Cela va du chiffrement au niveau de la connexion (HTTPS) aux solutions pour gérer un éventuel vol de clé privée, en passant par l’authentification forte, le chiffrement sur le service et ainsi de suite. Cela ne rendra jamais les informations inviolables, mais cela évite de les rendre accessibles au premier venu.
LES EFFORTS REMARQUÉS D’APPLE
Dans ce domaine, et malgré tous les défauts que l’on peut lui reprocher à raison dans son obsession à vouloir garder l’utilisateur dans un écosystème fermé et contrôler ce qu’il peut ou ne peut pas faire avec ses terminaux, force est de constater qu’Apple est en avance sur ses concurrents. Certes, il ne fournit pas une protection pure et parfaite de la vie privée, mais il fait mieux que ses principaux rivaux.
Il suffit pour s’en convaincre de regarder le rapport de l’EFF faisant le point sur les mesures engagées par les principales entreprises américaines sur le terrain de la vie privée, dans lequel Apple obtient la note maximale. Il suffit de voir l’analyse de l’EFF sur les messageries instantanées, où Apple, s’il n’obtient pas une note parfaite, fait mieux que Google, Facebook, Skype, Snapchat ou WhatsApp.
Par ailleurs, de nombreuses autres évolutions favorables ont eu lieu. Bien sûr, le problème de fond reste que l’accès au code source. Tant que celui-ci est fermé, les promesses et les engagements d’Apple sont à considérer avec prudence. Évidemment, il y a encore beaucoup de chemin à faire sur de nombreux sujets. Mais même s’il y a encore des insuffisances, celles-ci ne doivent pas pour autant masquer l’existence de vraies progrès.
( photo : CC BY Mike Deerkoski )
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