C’est un truisme que de le dire, Internet a révolutionné la façon dont le public accède à la musique et l’écoute. Que les méthodes soient légales ou illégales, l’innovation dans la « consommation » de la musique a été considérable depuis la fin des années 1990. Conspué, le Peer-to-Peer (P2P) boosté par l’arrivée de Napster en 1998 a installé pour l’avenir l’idée que les distributeurs de musique ne seraient plus uniquement les disquaires qui ont pignon sur rue, mais aussi et surtout les consommateurs eux-mêmes. Et pire, qu’ils le feraient sans être payés, et sans payer les labels. C’est évidemment un cauchemar pour les maisons de disques, mais un progrès social sur lequel il sera impossible de revenir en arrière. Toute la musique du monde devient accessible à chacun, de l’endroit et du moment qu’il le souhaite, sans discrimination basée sur le porte-monnaie. La musique ne peut plus être vendue à la pièce comme des poireaux, ni même au kilo comme des patates, et il faut inventer de nouveaux modèles économiques.
Or ce ne sont pas les labels, qui voudraient que rien ne change, qui vont inventer ces modèles de demain qui vont leur permettre de vivre dans un environnement économique à nouveau prospère. Tout comme les radios puis la télévision ont provoqué une nouvelle croissance de l’industrie musicale, c’est la Silicon Valley et plus largement les développeurs de logiciels et de sites web qui ont aujourd’hui les clés de la croissance de l’industrie musicale. Or, à force de porter plainte à l’envi contre une multitude d’initiatives nouvelles qu’elle juge illicites d’après le marbre de la loi, l’industrie musicale est en train de geler toutes les innovations commerciales et de laisser le monopole à quelques projets open-source incontrôlables, ou à des acteurs dont les modèles économiques semblent extrêmement fragiles (SpiralFrog, Deezer, Last.fm…).
On ne compte plus le nombre d’éditeurs de sites ou de logiciels commerciaux qui ont été poursuivis ces dernières années, sans même avoir la possibilité de négocier au préalable un accord viable avec les majors : Napster, Kazaa, Morpheus, iMesh, Bearshare, LimeWire, MP3.com, AnywhereCD, Myspace, MP3Tunes, The Pirate Bay, Deezer, MP3.ua, AllofMP3, Veoh, Stage6, un grand nombre de sites de paroles, You.dj, RadioBlogClub, etc., etc. Même Bertelsmann, pourtant l’un des leurs (c’est la maison mère de BMG), a été poursuivi parce qu’il avait osé parier sur l’avenir en investissant dans Napster.
Tous ou presque ont appliqué un adage bien connu de la Silicon Valley : « mieux vaut demander le pardon que l’autorisation« . Mais le pardon, l’industrie du disque ne l’accorde pas, ou rarement. Elle poursuit jusqu’à la mort sans laisser aux entrepreneurs la possibilité de trouver un modèle économique viable. Encore récemment, la Société des Producteurs de Phonogrammes en France (SPPF), qui représente les labels indépendants, a tapé du poing sur la table pour rappelé que les entrepreneurs doivent demander l’autorisation avant de lancer leurs services, ce qui retarde les lancements de nombreux mois, voire de plusieurs années. Sur Internet où tout va très vite, c’est un temps qui ne peut pas être pris.
L’innovation, qui devrait être encouragée, est donc au contraire découragée. Lors d’une conférence sur l’investissement dans les services de musique en ligne organisée par Billboard, les capitaux-risqueurs ont reconnu que les vagues de procès lancées par les majors ont refroidi de très nombreux investisseurs, qui n’acceptent plus de miser sur des entreprises sans la garantie d’une sécurité juridique… très difficile à garantir. Et sans capital, les projets sont mort-nés.
Sur le court terme, l’industrie du disque réussit donc à freiner l’avènement d’innovations qui déstabilisent son modèle économique traditionnel. Elle limite surtout le nombre d’entrants sur le marché et donc la pression de la concurrence. Mais sur le long terme, la stratégie est-elle gagnante ? Si les sociétés commerciales ne peuvent plus innover, les communautés open-source qui risquent peu sur le plan judiciaire prendront à nouveau le relais, comme elles l’ont fait avec eMule ou BitTorrent.
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